Journée 04 - 14 avril 2007, Vailly-sur-Aisne

UN MÉDECIN MILITAIRE TÉMOIN DE LA PRÉPARATION, AVRIL 1917

Merci à Monsieur Jean Dumont, Rédacteur en Chef des Carnets de la Sabretache qui nous a autorisé à reproduire une partie de l'article relatif aux carnets du Docteur Bion, proposé par le Colonel Christian Hanotaux dans le Carnet de La Sabretache N° 169.

Il est très intéressant de remarquer que ce témoin oculaire signale les conséquences, les premiers jours d'avril 1917, de la pluie pour les mises en batterie et la vie quotidienne. Il insiste également sur le marmitage permanent par l'artillerie allemande et la supériorité aérienne allemande.

PRÉPARATION DE LA BATAILLE DU CHEMIN DES DAMES VUE PAR UN MÉDECIN

Introduction

 

Le plan d'attaque français du Général Nivelle a été saisi par les Allemands à Maison-de-Champagne et au pont de Sapigneul. L'ennemi se tient sur ses gardes et se renforce. Le front allemand de 60 km, entre l'Ailette et le nord de Reims, passe de 6 à 12 divisions, il y a en outre 12 divisions de réserve prêtes à être jetées sur le Chemin des Dames.

Sur la partie du terrain où se passe l'action décrite par l'auteur, nous avons la 6e Armée du général Mangin, forte de 2 289 bouches à feu et 360 000 hommes. Son PC est à Beaurieux. Elle et constituée, de la gauche vers la droite :

- 1er C.A : général Berdoulat ;

- 6e Corps : général de Mitry ;

- 20e Corps : général Mazillier :

153e DI : général Pellé

39e DI : général Massenet

133e DI : général Valentin

11e DI : général Vuillemot

168e DI : général Magnan.

- 2e C.A.C. : général Blondlat :

10e DIC : général Marchand

15e DIC : général Guérin

38e DI : général Rouquerol.

11e Corps en réserve.

 

1re partie : Sur le plateau de Madagascar, du 14 mars au 16 avril 1917

14 mars... A 23 h, le commandant reçoit l'ordre de se tenir prêt à faire mouvement pour demain. Nous quitterons la Champagne, mais où nous enverra-t-on ? Froid de canard, il neige.

15 mars... Marmitage par fusants et percutants.

16 mars... Départ du front de Champagne. 1re journée de printemps. Activité des avions. Une saucisse de chez nous, brûlée. Un avion boche descendu. Les marmites rappliquent, dru et ferme. L'État-Major déménage à midi, et j'attends le départ du dernier tracteur. Trouvé du pain blanc à Somme-Bionne, et du fromage. Nous apercevons, au loin, le soir, les éclairs des batteries, et je songe aux camarades qui se font démolir.

17 mars... Beau temps. En passant à Valmy, nous apprenons l'abdication de l'empereur Nicolas de Russie, coïncidence historique. À Auve, église et presbytère brûlés. Cantonné à Châlons-sur-Marne.

18 mars... Étape Châlons-Fère-Champenoise, à la ferme Notre-Dame. Le capitaine Gennardi lit au 12e groupe le communiqué apprenant la retraite des boches et la poursuite de la cavalerie. Normée, village détruit, surtout dans sa partie ouest. Trous de marmites et nombreuses tombes du 137e d'Infanterie près de leurs tranchées hâtives. Passage à niveau à la maisonnette brûlée, tombes du 93e d'Infanterie.

19 mars... Départ de Fère-Champenoise. Sous-lieutenant Renaud Émile a été à Gourgançon voir l'endroit où il a perdu le bras. Retrouvé débris de caisson et éclats dans les pins. À Connantre deux compagnies de prisonniers boches construisent une énorme gare régulatrice qui doit soulager Troyes. Gourgivaux le 11e groupe du 86 (28e ).

20 mars... Sancy-lès-Provins, curé déséquilibré. Les hommes et le matériel sont très fatigués. On est anxieux des nouvelles sur la retraite boche. Le soir, pendant le dîner... ordre téléphonique du colonel de se tenir prêt à faire mouvement.

22 mars... Arrivée à 2 h du matin à Crouttes pour repartir à 5 h par une tempête de neige. Dormi deux heures et mangé froid quatre repas ou ce qui en tient lieu, pain et pinard. Giboulées de neige, les routes sont impraticables et embouteillées par le 82. Le 81 monte à notre gauche et le 83 à notre droite. Couché à Coulombs près Crouy-sur-Ourcq, bonne nuit.

23 mars... Nous comptions nous reposer à Coulombs, il faut en partir pour revenir sur nos pas dans la direction de Fère-en-Tardenois...

24 mars... Toujours vent nord froid, mais ciel clair. Étape - Coulombs-Saponay. Quitté la région accidentée et agréable de l'Ourcq. Rencontré à Montreuil-aux-Lions, si curieusement accroché à son coteau, les groupes courts du 81 et du 86 avec beaucoup de voitures en remorque. À Château-Thierry, trouvé le journal qui nous apprend que le recul boche continue, mais qu'on éprouve de la résistance. Rocourt-Saint-Martin, Brény où on traverse l'Ourcq, Oulchy-le-Château, je me précipite à l'infirmerie de l'école des grenadiers ... 3 km après Oulchy, nous quittons la grand-route de Soissons qui est toujours bombardée, bien que les boches aient évacué Crouy. Nous tournons par Grand-Rozoy et, toujours à une allure d'enterrement, nous franchissons, la nuit, Beugneux et Cramaille. Cantonné tous les officiers du groupe dans un baraquement de paille du camp de Saponay. Engueulades du commandant du 138e Territorial qui nous trouve installés près de sa cuisine.

25 mars... Saponay-Bazoches.

Toujours froid de canard, on ne bouffe que du singe, nous pourrons bientôt grimper aux arbres ! Le 60e d'artillerie (20e Corps) défile dans une forme impeccable. Les routes ne sont qu'un convoi continu d'artillerie qui monte au front : 115e, 120e, 102e A. L. (Artillerie Lourde), etc. Fère-en-Tardenois, les belles halles ont été transformées par la Direction de l'Artillerie : 20e C.A. + C.A.C. (Corps d'Armée Colonial), tout le gratin = 6e C.A.. La VIe Armée a les meilleurs éléments. Attaque pour le 28.

Mareuil-en-Dôle, Chéry, Fismes et Bazoches. On devait coucher dans le bled, on couche, avec tous les officiers du régiment, dans une bicoque en planches. Chahut et gaieté habituelle, le 12e se distingue, surtout Renaud.

26 mars... Arrivée par une pluie battante dans le bled. Aucun abri, tout est occupé par l'infanterie et d'autres groupes. On mange sur le pouce et on couche pêle-mêle, commandant, adjoints et téléphonistes. Les boches marmitent.

27 mars... Installation du poste de secours en volant des rails et des tôles de droite et de gauche. Fusants qui nous couvrent d'éclats. Je vais voler des sacs à terre au parc du service routier. Le mauvais temps de la nuit a empêché la mise en batterie, les deux plates-formes sont embourbées dans le chenal qui conduit aux positions. Accumulation de batteries 370, 270, 155C, 120L.

28 mars... La 24 a réussi sa mise en batterie, cette nuit. La 23 est toujours en panne. Les Français ne tirent pas, mais les boches nous sonnent. Les éclats sifflent et les fusants se déroulent sur nos têtes. La trompette signale les avions boches, mais les types, au lieu de se planquer, n'en sortent que plus nombreux de tous les buissons. Monté sur le plateau, vu les pylônes ; la zone interplanétaire et des boches derrière leurs tranchées. Le pont d'Œuilly a été coupé par les marmites. Nous sommes dans la boucle de l'Aisne (le groupe vient d'arriver sur le plateau de Madagascar entre Pargnan et Bourg-et-Comin).

Des effets de soleil. ravissants sur les coteaux que panachent les éclatements.

Les gens bien informés, disent que dès les premiers jours de notre marmitage, les boches se replieront ?

29 mars...Il nous pleut sur le ventre. Les obus ont des sons différents selon les coins du front. Ici, ils claquent sec et leur écho se répercute dans le vallon. On entend très bien leur départ lointain, et encore mieux leur arrivée. Le 1er groupe (Delorme) est près de nous avec ses 120. Derrière la 23, les 155C Saint-Chamond du 101e. Près de la route, les 155C du 117 (commandant Ducatel), et dans le coin, les 370. Sur 200 m, quel nid de batteries ! Les poilus traînent nos marmites et, sous leur capuchon ciré, ils se confondent avec les marmites pointues. L'offensive se précise de plus en plus, et on en attend avec impatience le déclenchement. Mais quelles averses.

Le 370, sur le plateau de Madagascar

 

30 mars... Toujours marmitage boche dont nous recevons les épluchures. Aucun coup français. (Quel silence, quand on pense au vacarme prêt à se déchaîner au premier signal (Vu le capitaine Darbu du 370...)

Le plafond est bas, comme disent nos as. La pluie, par trombes, camoufle à souhait le paysage. Il pleut aussi des marmites espacées et des fusants au miaulement de jeune chat.

Les habitants de Moulins, Cuissy-et-Geny, Bourg-et-Comin ne veulent pas évacuer, on voit juste un ou deux déménagements.

En regardant le commandant, je me suis aperçu que depuis 18 mois, il a bien vieilli. Il en est peut-être de même pour moi, mais qu'importe !

31 mars... L'incertitude, l'incertitude sur toute la ligne, voilà la dominante du moment. Par ici, les boches vont-ils se retirer (repli Alberich) à 17 km en arrière, comme ils l'annoncent par des papiers lancés en première ligne ? Vont-ils marcher sur Pétrograd ? Vont-ils attaquer le midi par une offensive foudroyante en Italie ? Les Américains vont-ils se déclencher? Les Russes caneront-ils? Ou les Turcs ?

Les colonels des P.C. du haut de la falaise sont en perme ! Leurs luxueux appartements les attendent. Les fils téléphoniques sont alignés dans les boyaux comme pour une revue de détail. Tout cela ne servira peut-être pas à grand-chose.

La 2e compagnie du 135e Territorial (Mirande) que je soignais part pour Beaurieux.

Les poilus sont des types énormes et épatants, mais les embusqués des services de l'arrière, où ils ne craignent pas les marmites, sont aussi désagréables que peu convenables. Laresch en sait quelque chose, car je l'avais envoyé toucher des bandages à Fismes.

La canonnade est violente sur Soissons. Les 155 Baquet s'en mêlent. De jolis effets de soleil se déroulent impassibles sur la vallée. Les fusants miaulent.

Un arbre que je guette depuis plusieurs jours, est prêt de verdir, à la corne du bois de Bourg. Les gros froids sont finis et chacun goûte animalement les rayées de soleil qui nous chauffent le dos.

À 18 h, tir de 15 sur la ferme de Bourg dont nous recevons les éclats. Les 370 ont été amenés dans le mauvais sens, et comme on ne pouvait trouver un triangle, on les a renvoyés à la Ferté-Milon, ou à la grande ceinture...

1er avril... Le colonel Dedieu-Anglade (120e), commandant l'A.L. du 20e Corps, avertit le commandant d'avoir à tirer sur les boches quand ils franchiront le Chemin des Dames, et descendront vers nous. Les batteries sont munies de mitrailleurs territoriaux. Serait-ce donc que nous sommes venus pour une défensive et non pour une offensive. Les boches marmitent toute la journée les observatoires de la côte de Pargnan. Typhon à Madagascar. Pendant le dîner les boches nous envoient une quarantaine de fusants de 150 qui percent notre carton bituminé : 2 tués au 8e groupe, et 3 blessés. Enterrés à Bourg par tracteur.

2 avril... La 23e est marmitée par du 15 qui a le bon esprit d'éclater entre les pièces et les abris, sans toucher personne. C'est une veine ! On demande des interprètes anglais, de l'artillerie britannique devant venir ici.

Les ponts sur l'Aisne et le canal sont marmités en permanence. D'après les bulletins de renseignement, les boches ont beaucoup renforcé leur artillerie dans le secteur. Il est vrai. que nous sommes ici pour les fixer pendant que l'aile droite tournera. Plus nous encaisserons, plus les grands chefs seront contents, et le plan stratégique réalisé. Giboulées de grêle, nuit et jour.

3 avril... Des rafales de 15 instantanés, ou de 13, sur le 8e et le 1er groupe, et sur la route de Bourg. Nous sommes encadrés, les marmites nous rasent la tête, et les éclats des fusants arrivent en crissant. Vers 5 h, le temps s'éclaircit, et saucisses et avions se lèvent. Vu une saucisse française, à deux nacelles (750 m) avec son pavillon. Une saucisse hoche passe son oeil horrible au-dessus de la côte de Paissy.

Mercredi saint, 4 avril 1917... Sale journée, beaucoup de morts. Pluie continuelle. Le 120 (groupe Delorme) tire dans la matinée.

À 6h, j'étais étendu sur ma paillasse, lisant André Cornilis de Paul Bourget, tandis que les marmites boches glissaient sur nos têtes. Je suis soudain projeté et reçois un pain formidable sur la joue. Ma lèvre gonfle et saigne. Un souffle formidable a tout renversé et disjoint la cagna. La fiole d'eau de Cologne de Godart me passe au ras du nez et je ne vois plus Philippi, affalé dans un coin. Un énorme nuage de fumée obscurcit tout. Je traverse la cuistance démolie, où Marchand, un éclat de verre dans la tête, reste ahuri devant son poêle renversé, la bouteille de gnole brisée, le pinard renversé, la soupière et le sucrier de Beaucamp en miettes, après tant de campagnes. Le commandant a une bosse à la tête. Devant ce ravage, j'ai aussitôt l'impression que c'est la 23e batterie tout entière qui vient de sauter. Les hommes sont à la porte de leurs cagnas, et Bonnet, de la 25e a une plaie sur la tête et est complètement dingo. C'est le 9e groupe et un dépôt de torpilles qui viennent de sauter. Le commandant Jaispon est tué, ses deux adjoints blessés, Jouanneau mortellement atteint à la tête. Les blessés rappliquent au poste de secours. Le 8e groupe du 101e m'amène les siens. Leur médecin est complètement affolé et restera encore longtemps terré au fond de mon poste de secours, sans oser en sortir. Pendant que j'évacue Levort, un fantassin du 153 (39e D.I.), qui a la figure fendue de l'oreille à l'autre oreille, avec les dents qui pendouillent dans cet affreux cloaque sanguinolent, une marmite nous arrive droit dessus.

Avec Wormser, nous n'avons que le temps de nous planquer dans la boue et la pluie qui continue comme le marmitage. Elle éclate à 4 mètres, les éclats bourdonnent, la terre retombe en pluie, longtemps, longtemps. Elle est tombée à 50 cm de l'angle du P.S. et ne l'a que fortement secoué. Les blessés et les morts sont nombreux : plus de 200 au minimum. Plus que 16 hommes à une batterie du 9e groupe du 82. Les deux capitaines seraient tués, un général aussi, le 101e aurait aussi fortement trinqué. Que ne dit-on pas ? Camions, chevaux, cavaliers, tout cela est pêle-mêle, cul par dessus tête et morts.

Toute la nuit, les marmites boches glissent en nappe au-dessus de notre tête et vont éclater derrière la 23e batterie, par rafales de 4 à 5, percutants et fusants. On n'entend plus de circulation sur la route, les communications sont coupées.

Au petit jour, encore une formidable détonation. Les planches de la guitoune se disjoignent, les campements lancés dans toutes les directions. Godart qui avait attaché ses grollons au-dessus de sa couchette, les reçoit en avalanche sur le bide. Mon râtelier qui trempait dans un verre, est projeté dans la terre, à 3 mètres, et le verre n'est pas brisé. C'est Bessard qui m'a retrouvé le précieux dentier. Une autre fois, je l'attacherai avec une ficelle.

Jeudi saint, 5 avril... Les cloches sont peut-être parties pour le restant des mortels, mais cela n'empêche pas les boches de nous sonner sans discontinuer. La neige recouvre la terre.

Ce matin, après l'explosion qui a démoli la guitoune et bousculé ses habitants, quelle jolie minute d'émotion j'ai eue en entendant dans le silence qui suit ces formidables cataclysmes une fauvette, à tête noire, qui chantait un chant printanier. Quels contrastes !

Le temps reste brumeux, mais quelques rayons de soleil, l'après-midi, dont profitent avions et saucisses. Toutes les heures, les boches nous servent une ration. Variant de 20 à 60 coups de bon 15. Tout le monde attend impatiemment l'attaque. On dit qu'elle aura lieu vers le 13. En attendant, aucun canon français ne tire, et les boches tirent dans les nids de batterie et font mouche à tout coup.

Il y a deux jours, c'était une batterie du Mont Charmont, hier le 9e groupe du régiment qui est complètement anéanti. Tous ses obus de 220 ont sauté, faisant une tranchée de 10 m. de profondeur et 800 m de long, et combien de victimes !

La nuit, on entend très bien le départ des coups chez les boches, et encore mieux leur arrivée sur nos pièces. Nous avons, à 200 m de nous, un énorme dépôt de 75. S'il éclate, nous avons moult chances d'être bousillés. À 100 m, ce sont des centaines d'obus de 370, etc.

Le moral est bon et joyeux. On chante, et chacun espère que les boches ne vont pas tarder à en prendre pour leur matricule.

6 avril... Beau temps au réveil.. La fauvette à tête noire chante éperdument.

Une à une, les saucisses montent au plafond où elles forment des constellations. Que de saucisses, pour un Vendredi saint ! En voilà 26 dans notre secteur ! Les batteries commencent à tirer. Un coup par batterie d'abord, puis toutes les pièces. Le vacarme des grands jours commence, c'est la grande fête du canon, la préparation d'artillerie, l'offensive ! Les départs agitent et secouent tellement notre guitoune qu'il m'est presque impossible d'écrire. Les avions se pourchassent et le bleu du ciel n'a comme nuage que les multiples points blancs des éclatements.

L'après-midi, le temps se couvre et je vais voir les restes de la terrible explosion du 9e groupe. Terrible, effrayant, sinistre et pestilentiel ! Plus de 50 chevaux déchiquetés, et les pattes en l'air envoient leur fumet de putréfaction. Ruines, sang, cadavres, c'est effrayant.

Nous nous faisons sérieusement sonner car les boches réagissent vigoureusement. C'est un vrai. duel d'artillerie. Qu'est-ce que dégustent les 155C Schneider de la corne du bois ! Ils évacuent la position. Enfin, à 16 h, on voit arriver nos as. Tout le reste du jour les avions boches ont pu nous survoler à 100 m et poursuivre nos avions de réglage, aucun de nos avions de chasse n'étant là, et les mitrailleuses contre avions ne voulant pas se faire repérer ne tirent pas.

Une saucisse boche brûle, mais à 19h, un chasseur boche arrive en pépère, enflamme la saucisse à deux nacelles qui est derrière nous et s'en retourne sans essuyer un coup de feu. Nous voyons très bien les deux aviateurs descendre avec leur parachute. Ils gigotent, l'un d'eux conserve son plan directeur à la main, l'autre jette ses sabots et agite son mouchoir. Ils atterrissent en jouant des quilles derrière le bois de Bourg.

Pendant le dîner notre position est sonnée. Une marmite tombe près du poste de secours, d'autres vers le 370. Nous regardons cela avec le commandant. Une éclate, près de nous, derrière le bouleau, à côté de la cuistance de la 24. La boîte aux lettres est bousillée ! C'est les boches qui ont fait la levée ! Nous voyons les poilus affolés émigrer dans le bled avec leurs couvertures. Nous l'avons échappé belle ! Des signaux sur la côte de Merval. On téléphone au colonel Analade.

Samedi saint, 7 avril... Pluie la nuit, neige le matin, arrêt des tirs. Le temps se lève dans l'après-midi et le marmitage français commence. Les Baquet donnent un coup sec et violent, et font parfois de beaux ronds de fumée qui vont très loin. Les 100 TR claquent sec et partent comme des mitrailleuses. La nuit, lueurs vertes des 75 et de tous les canons à douille. Lueurs rouges et roses de tous les autres. Torchères vertes à la gueule de nos pièces. Les boches répondent par des fusants et des percutants qui tombent près du 370 et de la 23e batterie.

Pâques 1917, 8 avril... Beau temps. L'artillerie française tire sans arrêt. C'est un vacarme effrayant qui vous donne la migraine. Vu de la crête de Madagascar, le spectacle est impressionnant. Les boches répondent pas mal. Le groupe a détruit deux batteries conformément au programme qui était de taper d'abord sur l'artillerie boche. Vont-ils se replier ? En attendant, ils ripostent ferme.

Lundi de Pâques... Explosion de notre 23e batterie. Pluie et neige la nuit et le matin.

Les boches nous sonnent. Les épluchures de fusants tombent autour de nous et sur les simples planches de notre toit. Un tué du 142 Territorial, à la fontaine.

Vers 2 h, le tir boche continuant, une marmite tombe sur la 2e pièce de la 23, fait sauter 67 obus, faisant un énorme trou de plus de 7 m de profondeur. Un nuage qui noircit la terre sur plus de 300 m de circonférence. Notre gourbi est démoli pour la troisième fois, et pour la troisième fois, le cuistot Marchand remonte son poêle. Trois blessés.

Les poilus cavalent sur la crête. Le sonnage continue avec des pépères maousses. Pendant 4 heures, le duel d'artillerie lourde continue. De gros fusants de 15 craquent juste au-dessus de la position, nous inondant d'éclats chauds. Qui n'a pas entendu ces craquements déchirants et violents, ne peut s'en faire une idée. Les batteries françaises ripostent à coups précipités qui nous ébranlent les oreilles. On n'entend plus ni arrivée, ni départ, mais un vacarme formidable, où l'on ne s'entend pas causer à 10 cm de distance, malgré les hurlements que l'on pousse. Puis, des silences de quelques secondes où l'on goûte le répit, et où il semble que les adversaires, soufflent pour mieux s'étreindre à nouveau.

Au moment où j'écris, voilà que ça recommence. Quelles secousses ! Les 100 TR ripostent comme des mitrailleuses. Et pourtant, malgré tout, il y a du comique. En faisant mon inspection, après l'explosion, je retrouve le brancardier Amiot caché dans les ruines de la baraque Adrian. Je l'engueule, et tout ce qu'il peut m'expliquer c'est que son bidon neuf de 2 litres a un éclat dans le fond et que sa gamelle est percée. Bart de la 24, pâle, est remis en selle par quelques bonnes paroles et un coup de gniole. David et Wormser ont été épatants, comme à leur habitude ; quant à Viennet et Basset, ils étaient au haut de la montagne où je voyais la blancheur lointaine de leur brassard. Peut-être voulaient-ils soigner ceux enfouis dans les grottes ! Quelles minutes, malgré tout on serre les fesses et on en rit quand c'est fini. Après l'enfer de la journée, la nuit semble plus calme. Un 105 tombe sur la cuistance du commandant Duclat, brise deux rondins, et ne blesse personne. Les 120 et les 75 aboient toute la nuit.

Mardi 10 avril... L'observation aérienne est toujours impossible à cause du grand vent et des giboulées de grêle et de neige fondue. L'artillerie française tire sans répit. Pas une seconde sans de multiples départs. Qu'est-ce que doivent encaisser les boches.

Le 20e Corps et la formidable artillerie massée derrière Madagascar, doivent fixer l'ennemi. Autour de cette charnière, les troupes de Saint-Quentin et de Reims viendraient poisser les boches.

Que ce vacarme est assourdissant, et surtout, combien gêne-t-il pour écrire ! Terre et cagnas trépident et les nuages s'amoncellent. On entend le sifflement des fusées qui s'amorcent et fusent en gravissant la côte.

Les Anglais auraient pris la crête de Vimy : 5 000 prisonniers et 30 canons. Elle va dégager Lens. C'est de bon augure pour notre offensive.

Depuis 4 jours, nous sommes à J-6, et tout ce qu'on fait, ce ne sont que des tirs préparatoires et de destruction. L'offensive n'apparaît pas avoir lieu avant le dimanche qui suit Pâques, dans 5 jours. Une marmite est tombée juste derrière un 370, sans l'amocher. Leur cuisine roulante a été renversée et criblée d'éclats. Une de leurs grues de chargement est détruite et couchée par terre, plusieurs arbres abattus, et les trous de marmite contigus les uns aux autres.

Cet après-midi, des marmites sont tombées à la pointe du bois de Bourg sur un dépôt de torpilles et de 75 qui a pris feu. Il fallait voir les poilus et convois cavaler dans le bled, ils en mettaient !

Quand donc viendra le beau temps, que saucisses et avions puissent se montrer et régler les tirs ? Il est vrai que même par le plus beau temps calme, nos as ne sortent pas et laissent la maîtrise de l'air... aux boches qui nous survolent à 100 mètres, nous repèrent avec des fusées lumineuses et nous marmitent ensuite. Ce n'est pas au poilu français qu'il faut bourrer le crâne avec nos héros de l'air !

Mercredi 11 avril... Une journée où on se demande si on verra le lendemain ! Sonnage sans arrêt par marmites toxiques.

12 avril... Mais si ! Mon vieux, il y a un lendemain. La preuve, c'est que j'écris pour noter mes impressions d'hier. Coups de clairon et de téléphone signalant les gaz. Gros marmitage par toxiques, par rafales de 60 sur notre pente. À 5 h du matin, un obus traverse notre cagna, brisant tout, un éclat passe à 20 cm de la tête de Godart qui crie " c'est des gaz, de l'oxychlorure ! ". Le temps de saisir mon masque et j'en ai déjà avalé une sacrée bouffée. Philippi court après sa chaussette et tousse à fendre l'âme. On appelle le cuistot Marchand qui ne parlait pas. Il n'est pas blessé. On sort. Le soleil rougit les nuages de l'aube, les saucisses montent en masse, c'est un joli coup d'œil, mais les nuages s'amoncellent, le vent souffle, et les marmites à gaz ne cessent de rappliquer. On ne voit que des poilus en masque et trébuchant, et qui ne lambinent pas. Les batteries continuent à tirer et les gaz à puer.

La 2e pièce de la 24 dont l'abri a été percé par une marmite, a tous ses hommes intoxiqués. Je les vois à la visite. Le capitaine Ducatel leur dit quelques mots et, quoique malades et pantelants, tous ces braves Comtois vont servir leurs pièces et se venger sur le boche.

On déjeune tant bien que mal, les marmites éclatant tout autour de nous. Plus de 2 000 obus dans la journée dans notre coin. À chaque instant, l'on est forcé de s'interrompre de manger pour enfiler le masque. Maudet s'affole quand la marmite est toute proche et je suis obligé de lui mettre son masque que de lui-même il s'enfonce sur l'occiput.

Cette nuit, notre cagna a été démolie, un éclat juste au-dessus de ma tête, mais c'est bien pire l'après-midi. Les boches dont les avions n'ont cessé de nous survoler très bas jour et nuit, règlent sur nous avec de gros fusants, des 105 à gaz et des percutants de 15.

Les batteries françaises tonnent toujours et, cela, joint au fracas des arrivées continuelles, est quelque chose d'inimaginable à qui ne l'a pas entendu. Des poilus sont tapis dans des anfractuosités, attendant la mort, l'œil égaré comme une bête perdue.

Les dépôts de munitions sautent et pour aller du P.C. au P.S., je suis chaque fois obligé de me planquer à 2 ou 4 reprises, tant les marmites éclatent près. La terre est soulevée et partout recouverte de la poussière des explosions, les arbustes que le printemps n'a pas encore verdi, sont hachés. Marchand est devant moi, à un mètre, le commandant à sa gauche, un éclatement que je n'ai pas le temps d'entendre, et je vois notre vieux cuistot Marchand s'effondrer une main dans son plat de friture. Il est tué, la poitrine coupée de part en part. Je cours au P.S. chercher Wormser et David, et nous le ramenons, au milieu des marmites qui nous poussent au cul. Inventaire de ses poches. Je reste pendant une demi-heure très frappé de la mort de ce brave cuistot, avec lequel je blaguais il y a encore 5 minutes. Bessard est effondré, ainsi que le brigadier Bouk, réfugié au poste de secours. Notre cagna étant démolie, je coucherai ce soir au P.S. avec mes brancardiers, j'aurai au moins une tôle au-dessus de la tête !

Marchand, garde-champêtre à Beurre (Doubs) est là, à l'état de cadavre et, ni sa femme ni sa fille ne se doutent encore de rien.

Le marmitage continue, je soigne les poilus intoxiqués par les gaz et il y en a ! C'est une sacrée rude journée et l'on est heureux d'entendre le soir les percutants.

J'évacue les plus atteints et les blessés, soigne les autres. On se débrouille. Le canon hurle et fulgure. Les 120 éternuent dans l'angle, en faisant beu... euhm! Les 105 miaulent, quel charivari, et la nuit quelle illumination !

Vendredi 13... Malgré cette date, pas de malheur et, jusqu'à cette heure, aucun blessé au groupe.

Les boches ont l'air beaucoup plus calmes et tirent surtout sur Paissy et Vendresse-et-Troyon.

Prise d'armes pour Groix de Guerre aux poilus de la 2e pièce de la 24 et, par le colonel Dedieu-Anglade, commandant l'A.L. 20, pour ceux de la 23. Beaucoup d'avions et de saucisses. Ciel nuageux, mais haut.

Le jour de l'attaque sera dimanche. On attaque sur tout le front, bien au-delà de Reims, Pétain en sera, en Argonne. Hier, on a transporté le corps de Marchand sur une brouette de chargement et on l'a enterré au petit cimetière de Bourg-et-Comin, cimetière bouleversé par les marmites et l'explosion du 9e groupe. Paysage sinistre, plein de chevaux crevés.

Les boches continuent à tirer beaucoup sur les ponts de l'Aisne, principalement celui d'Oeuilly. Les tanks sont signalés à Fismes. Bazoches a été marmité et 20 fantassins tués. C'est 8 000 obus à gaz que les boches ont envoyés.

Samedi 14 avril... J est repoussé de 24 h, pour lundi probablement ! Le Corps d'Armées n'en sait rien lui-même. Les 155 C du 101e (capitaine Cazenave) et du 117e (commandant Ducla) accompagneront les 9e et 11e Corps qui doivent faire la deuxième attaque et prendre Laon. Tout est méticuleusement prévu, il doit même y avoir une colonne de cuisines roulantes commandée par un commandant ! Les échelons sont venus habiter le bois de Bourg où ils campent. L'animation est grande sur les routes, le temps est beau.

Le groupe tire sur Trucy et Colligis. Les hommes sont aux pièces toute la journée et en mettent un coup. La 23 ne tire qu'avec deux pièces. Les 370 tirent peu et on ne voit pas le capitaine Darbre.

Nous partirons à J+4. Trois de nos avions de réglage abattus ce matin, nos as n'étant pas là.

Rafales de 15 et, pendant une demi-heure, d'obus toxiques. Pas de blessés. Je crains que Chabert, Bart et Michel de la 24, n'aient été tués. Après avoir été évacués, le train sanitaire qui les emportait, ayant été , marmité en gare de Fismes : 40 tués et 50 blessés .

Soirée joyeuse et chantante de tous les officiers du groupe, et du capitaine Cazenave du 101 (jolie voix de ténor) et du lieutenant Tartière.

Dimanche 15 avril... C'est demain, à 6 h du matin, que l'on attaque.

Temps beau dans la matinée, qui a permis les réglages. Le 370 tire avec ses 2 pièces ses obus de 500 kg avec 150 kg de mélinite (le 420 boche n'a que 105 kg d'explosif. On entend le 400 derrière nous. Toute la grosse artillerie tire à la fois, ce qui fait un bruit d'enfer où l'on n'entend pas les arrivées. On voit juste l'explosion des marmites boches entre nos pièces. C'est un vacarme où le bon Dieu n'entendrait plus son tonnerre.

Six attelages de chevaux, sur la route, tués par les asphyxiants. Moulins est très bombardé ainsi que la côte de Paissy.

À une fausse attaque, ce matin, les boches ont très peu répondu, mais ce soir ils ont envoyé deux tirs barrage, avec du 105, qui étaient plutôt tassés.

Le 370 tire sur les abris de Courtecon et ça ne tombe dans les betteraves, à en juger par les planches qui voltigent Vers 6 h du soir, la pluie commence. L'infanterie monte en ligne par petits paquets. Vers 7 h, le tir français a beaucoup diminué d'intensité dans notre secteur et on ne se croirait pas à quelques heures de 1'attaque. Ce silence nous permet d'entendre le ronflement de la canonnade roulante, à notre droite, au 2e C.A.C.

Je lis la longue liste des tués du Collège [Stanislas] ! Que sera demain ? Notre VIe Armée remportera-t-elle la victoire, et nos poilus que nous voyons défiler, seront-ils à Laon demain, à cette heure ? La France va-t-elle s'agrandir, malheureusement, elle se diminuera toujours de quelques hommes. Ces réflexions nous hantent la tête pendant que je m'endors avec mes infirmiers et brancardiers, au poste de secours.

16 avril 1917... QG 15 avril 1917 - Ordre général n° 75 Aux officiers, sous-officiers et soldats des Armées, françaises.

L'heure est venue

Courage et confiance

Vive la France

Général Nivelle

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