Journée 03 - 7 avril 2007, Vimy

AVRIL 1917, LES CANADIENS REPRENNENT VIMY

 

 

 

 

 

 

Merci à la personne qui nous a transmis ce texte paru dans la revue historique "1418", N° 12, de février 2003.

 

 

 

 

 

 

Les Britanniques attaquent le 9 avril 1917, les Canadiens reprennent Vimy

 

 

LES CANADIENS A VIMY, 9 AVRIL 1917

Texte d'Yves Tremblay du Ministère de la Défense du Canada, paru dans "1418", N° 12, de février 2003.

 

Du début des hostilités à l'automne 1916, le Corps expéditionnaire canadien (C.E.C.) monte en puissance : 4 divisions d'infanterie à 12 bataillons chacune, une puissante artillerie divisionnaire et de corps, des magasins et des dépôts abondamment pourvus en hommes, matériel et munitions. Au plan tactique toutefois, la situation est insatisfaisante. L'échec sanglant de l'offensive de la Somme conduit plusieurs officiers à questionner sur les méthodes préconisées par le Grand Quartier Général britannique de Douglas Haig.

Ces mécontents auront l'occasion d'examiner une approche différente du problème de l'assaut contre des positions retranchées lorsque la 1ère Armée britannique (général Horne) organise une visite du champ de bataille de Verdun début janvier 1917. Le commandant du C.E.C. (le lieutenant-général anglais Julian Byng) choisit Arthur Currie (1ère Division) pour accompagner le groupe de visiteurs. Currie est le seul général canadien du groupe.

Au cours d'une visite menée tambour battant (du 5 au 8 janvier 1917), le groupe rencontre les généraux Guillaumat et Nivelle, de même que le colonel Fiviet, un artilleur. La visite est rapide, mais le rapport que Currie complète le 23 janvier 1917 ne couvre pas moins de dix-sept pages serrées.

Le rapport Currie est un modèle de prose militaire. Currie résume d'abord l'ensemble des opérations sur le front de Verdun depuis le déclenchement de l'attaque allemande le 22 février 1916, évoque les formations que doit prendre l'infanterie, puis décortique longuement l'emploi de l'artillerie avant de décrire les leçons que les Français tirent de l'attaque lancée le 15 décembre 1916. Il est particulièrement frappé par les rôles bien définis de l'infanterie et de l'artillerie, la première avançant sous la protection de la seconde. Currie n'est cependant pas impressionné par la qualité du travail de sape des Français, ni par les arrangements administratifs en général. Il prend donc des méthodes françaises ce qui lui semble le plus utile et l'amalgame à ce qu'il trouve bon dans la doctrine du corps canadien.

La visite de Currie et de ses collègues britanniques avait un motif précis. Quelques jours avant de partir pour Verdun, la 1ère Armée britannique avait reçu l'ordre du G.Q.G. de prendre la crête de Vimy. Quelques jours plus tard, le général Horne confie le rôle principal aux Canadiens.

LE RAPPORT CURRIE, POINTS PRINCIPAUX*

(*) Archives nationales du Canada (Ottawa), MG3O, EIOO, vol. 35, dossier 159. (**) P. Berton, "Vimy" p: 103-104.

- L'objectif est déterminé en fonction de son utilité tactique, c'est-à-dire son utilité pour nous ou sa capacité de nuisance pour l'ennemi ;

- La reconnaissance photographique est primordiale ;

- Avant 1'attaque, l'entraînement est conduit sur un terrain similaire ;

- On laisse aux divisions chargées de l'attaque suffisamment de temps en ligne pour se familiariser avec le terrain qu'elles devront traverser ;

- Il faut que chaque bataillon, chaque compagnie, chaque homme ait une bonne idée des difficultés qui l'attendent, de l'objectif à atteindre et des dangers à surmonter ;

- Pour s'assurer que personne ne se perd dans un paysage où tout repère a été détruit par l'artillerie, les cartes sont généreusement distribuées jusqu'au niveau des chefs de section, du jamais vu dans les armées impériales (**); cette mesure a un effet positif sur le moral, chacun sentant qu'on le considère suffisamment intelligent et sûr pour qu'on lui confie une carte ;

- L'artillerie domine le champ de bataille et tous les assauts doivent se faire sous sa protection et dans les limites de sa portée ; il est suicidaire d'aller trop loin trop vite ;

- Avant l'assaut, l'artillerie a pour fonction, dans l'ordre, de détruire l'artillerie adverse, puis les obstacles (nids de mitrailleuse ensuite barbelés), de harceler les tranchées de l'avant pour interdire la réparation des défenses ennemies ;

- Le jour de l'assaut, elle doit dresser devant l'infanterie un barrage roulant pour empêcher les défenseurs survivants de lever la tête et de riposter; finalement, elle doit prévenir et parer les contre-attaques de l'ennemi ;

- Le programme d'artillerie doit être conçu de manière à préserver la surprise quant au moment et à l'endroit précis de l'attaque ;

- Avant que l'assaut soit lancé, il est primordial de s'assurer que des trouées existent dans les barbelés et d'en connaître la position exacte ; au besoin, il faut couper les fils manuellement là où l'artillerie n'y est pas parvenue ;

- L'assaut se fait brutalement et en une seule vague, ce qui implique l'abandon des vagues successives si chères aux auteurs des manuels tactiques d'avant 1914, car seule la première vague peut coller au barrage roulant qui la protège ; à cette fin, l'entraînement des pelotons et des compagnies est particulièrement soigné, ceux-ci devant parvenir à leur objectif sans prendre de retard sur le barrage roulant;

- On emploiera des nouvelles armes (mitrailleuses légères, grenades à main et à fusil et mortiers) pour augmenter la puissance de feu des groupes d'assaut; ceux-ci ne doivent pas se laisser retarder par crainte de perdre la protection du barrage roulant, il faut qu'ils réduisent rapidement toute résistance bloquant leur route ;

- Aussitôt l'objectif atteint; il faut consolider la position afin d'être prêt lorsque la contre-attaque surviendra, les Allemands étant particulièrement habiles à monter des contre-attaques rapides ;

- Derrière la vague d'assaut, se trouvent des groupes chargés d'éliminer les points de résistance qui pourraient demeurer et que la vague d'assaut n'aurait pas détruits dans sa hâte de suivre le barrage roulant;

- La plus importante leçon à tirer de Verdun et qu'il faudra dorénavant appliquer est que l'assaut doit être conduit par des troupes fraîches et bien entraînées à l'opération à conduire.

LA VICTOIRE DE VIMY

Du haut de la crête de Vimy, entre les vallées de la Souchez au nord et celle de la Scarpe au sud, l'occupant domine le plat pays. Tenir la crête confère au défenseur des avantages évidents tout en présentant à l'attaquant des défis de taille. Les Allemands l'occupant depuis octobre 1914, ont eu tout le loisir de fortifier la position, comme Français et Anglais s'en sont rendus compte dans leurs tentatives d'enlever la hauteur en 1915 et 1916. Dans les derniers mois, la défense de la crête a encore été renforcée en lui multipliant les abris bétonnés et en donnant plus de profondeur à toute la position. Ainsi, les deux pentes de la crête sont fortifiées.

Tout mouvement offensif est facilement observable de la crête. Malgré tout, Byng est déterminé à tromper les Allemands autant que faire se peut. Byng, Currie et leurs états-majors vont mystifier l'ennemi par l'emploi judicieux des meilleures tactiques du moment. La concentration d'artillerie sera formidable, car en plus de l'artillerie du corps canadien on peut compter sur celle du 1er Corps britannique, plus deux groupes d'artillerie lourde d'armée, au total 983 pièces procurant une densité linéaire d'une pièce lourde tous les 18 m et d'une pièce de campagne tous les 9 m. C'est une densité double de celle des batailles de la Somme. En plus, depuis la mi-janvier, les obus que reçoit l'artillerie canadienne sont équipés d'une nouvelle fusée, la n° 106. La fusée n° 106 (dérivée de la "fusée instantanée allongée française") permet de solutionner un problème qu'avait l'artillerie d'origine britannique depuis le début de la guerre : ces obus s'enfonçaient dans les sols mous ou détrempés (ô combien trempés, les malheureux soldats le savent bien) et explosaient trop profondément pour détruire les réseaux de fils barbelés. La n° 106 fait exploser l'obus à l'impact, maximisant l'effet destructeur sur les barbelés. La probabilité d'ouvrir un chemin libre aux fantassins s'accroît d'autant. Onze souterrains d'une longueur totale de six kilomètres sont aménagés pour permettre aux troupes d'accéder aux premières tranchées à couvert. D'autres excavations situées sous les défenses allemandes sont remplies d'explosifs ; l'heure venue, on fera tout sauter. L'entraînement est intensifié sur les bases décrites dans le rapport Currie. Réarmés de grenades, de lance-grenades et de mitrailleuses légères (Lewis gun), le peloton devient l'unité tactique de base (plutôt que la compagnie). Chaque peloton peut se servir de sa nouvelle puissance de feu pour venir à bout lui-même des foyers de résistance et ainsi maintenir le tempo de l'avance.

Pour la même raison, Byng décide également que dans l'éventualité d'une unité tenue en échec, " les unités qui la flanquent ne doivent en aucun cas interrompre leur progression ". Sa directive se poursuit ainsi : " Elles [les unités sur les flancs] formeront plutôt des flancs défensifs dans cette direction et avanceront elles mêmes de manière à envelopper l'emplacement fortifié ou le centre de résistance qui fait obstacle. C'est en fonction de cet objectif qu'on lancera les réserves derrière les sections de la ligne où l'avance aura réussi, et non celle où elle a été retenue ". Ici Byng montre qu'il est capable de rejeter les axiomes d'avant-guerre sur la sûreté des flancs (et la linéarité de l'avance que cela implique) avec les conséquences tactiques désastreuses qui s'en sont suivies depuis 1914. Plutôt que d'interrompre la progression pour permettre aux plus lents de rejoindre, il faut renforcer le succès des plus rapides. À compter de février 1917, des répétitions à grande échelle sur un terrain (près de Servins) marqué pour ressembler à Vimy sont menées. Des reconnaissances aériennes ont permis d'assurer la vraisemblance du modèle avec l'original. D'ailleurs, le Royal Flying Corps maintiendra une surveillance serrée jusqu'au dernier moment pour s'assurer des changements de dernière minute du dispositif allemand. En plus, des raids ont lieu chaque nuit de la fin janvier au début d'avril pour tenir en haleine les Allemands et se procurer des prisonniers pour interrogatoire. La nuit, un harcèlement continuel par l'artillerie et les barrages de mitrailleuses lourdes (une spécialité canadienne) empêche les Allemands de réparer leurs positions et, en plus, contribue à élever leur niveau de stress. Les Allemands craignent maintenant de s'aventurer la nuit dans le no man's land par crainte des raiders canadiens.

En trois mois, l'artillerie a établi sa domination sur l'adversaire. Presque toutes les positions de batteries allemandes sont connues grâce aux photos aériennes, aux rapports des observateurs aériens, aux dispositifs de repérages visuels (éclairs des coups de départ) et acoustiques et aux raids de tranchées. Le bombardement préliminaire commence le 20 mars, mais une partie des batteries canadiennes demeurent silencieuses pour masquer la force réelle qu'on entend déchaîner au moment de l'assaut. Le 2 avril, le bombardement s'intensifie ; trois villages (Thélus, Farbus et Givenchy) à proximité de la crête sont rasés, les tranchées dévastées de manière à empêcher les Allemands de les occuper le jour de l'assaut. Dans les derniers jours du bombardement préliminaire, les installations de communication ennemies sont visées de manière à l'obliger à utiliser des coureurs pour relayer les ordres, amenuisant sa vitesse de réaction. En outre, le ravitaillement des défenseurs devient presque impossible ; il faut maintenant six heures à la soupe pour franchir une distance qui se faisait en quinze minutes auparavant, de sorte que les hommes de l'avant mangent froid, lorsque bien entendu la soupe se rend jusqu'à eux. C'est dire que bien avant l'assaut, Vimy est devenue invivable pour les Allemands. À 5 h 30 le matin du 9 avril, tout devient infernal. Les mines sont mises à feu et 983 canons crachent la mort, les uns pour ménager des ouvertures dans les barbelés, les autres pour faire taire les batteries allemandes (les emplacements de 176 des 212 pièces allemandes sont bombardés, témoignage de l'efficacité à laquelle est parvenue en peu de temps le système de contrebatterie canadienne). Pendant les trois premières minutes, les canons tirent trois obus/minute sur les tranchées avancées de l'ennemi, puis toutes les trois minutes, le tir est prolongé de 90 m, les canons abaissant alors la cadence à 2 obus/minute. Quelques canons et des mortiers fournissent un écran de fumée.

 

Les quatre divisions canadiennes sont côte à côte et l'infanterie s'élance dès 5 h 30, en collant au barrage. Les 1ère, 2e et 3e divisions atteignent leur premier objectif avant 8 h 00. Elles font halte, car le plan prévoit que les mitrailleuses lourdes (Vickers .303) doivent être remises en position pour couvrir les flancs. Puis l'assaut reprend vers le deuxième objectif, toujours précédé d'un barrage roulant, suivi d'une autre pause pour les mitrailleuses. Puis on répète le manège une troisième fois. Avant 15 h 00, l'objectif final est atteint conformément à l'horaire établi. Jusque-là, la réaction allemande a été plutôt faible.

À gauche, la 4e Division a moins de terrain à parcourir que ses voisines, mais c'est elle qui attaque les positions les plus fortes. Là se trouvent les points les plus élevés de la crête, la cote 145 et une petite hauteur juste au nord (le "Bourgeon"), hauteurs qui verrouillent le nord du dispositif allemand.

Comme on peut s'y attendre, les défenses y sont particulièrement solides. Le premier assaut contre la cote 145 est repoussé et il faut faire donner les réserves de la brigade qui l'attaque (la 11e) dans l'après-midi, puis dans la soirée.

On s'empare alors d'une partie du sommet, mais les pertes atteignent 50 % dans certains bataillons. À l'extrême gauche, la 12e brigade progresse difficilement au nord, vers le "Bourgeon". Lorsque la nuit tombe, la situation demeure confuse.

Le lendemain matin (10 avril), le divisionnaire décide de lancer sa brigade de réserve (10e) contre la cote 145, car sans la prise de cette position les succès du jour précédent sont compromis. Comme il faut auparavant organiser un nouveau barrage d'accompagnement et s'assurer que tous les intéressés s'accordent sur le minutage, l'attaque ne peut démarrer qu'au milieu de l'après-midi. La fumée doit couvrir l'attaque et les assaillants bénéficient d'un blizzard qui souffle alors. Finalement, au moment convenu, la colline est noyée sous les gaz de combats pour neutraliser les défenseurs. En moins d'une demi-heure la position est enlevée.

Reste le "Bourgeon", d'où les Allemands peuvent prendre en enfilade la crête. Le plan original prévoyait que c'est la brigade de réserve de la 4e Division qui devait s'en emparer, mais les difficultés à prendre la cote 145 ont obligé à modifier les plans, ce qui cause des délais. Les Allemands en profitent pour renforcer le "Bourgeon" avec une unité d'élite, le 5e Régiment de Grenadiers de la Garde prussienne. La 10e Brigade, amochée après son assaut contre la cote 145, est renforcée par un bataillon frais et des compagnies prélevées dans les autres brigades de la division. L'assaut, lancé le 12 à 5 h 00, est couvert depuis la cote 145. Neige et pluie aveuglent les défenseurs qui ont été bombardés toute la nuit. Et comme il fait encore nuit lorsque l'infanterie canadienne monte à l'assaut, les Allemands ont de la difficulté à ajuster leur tir. En deux heures, le "Bourgeon" est finalement pris. Au point du jour, les Canadiens dominent toute la plaine de Douai. Le temps s'éclaircit et un magnifique soleil réchauffe les combattants fourbus. Les Allemands sont forcés de se replier de 3 km.

C'est un succès inespéré, qui coûte 3 600 tués et 7000 blessés aux Canadiens. Les pertes allemandes sont aussi très importantes (difficiles à chiffrer mais probablement comparables au total canadien), sans compter les 4 000 prisonniers. Ironiquement, la Mission militaire française près des Armées britanniques, qui jusque-là ignorait presque totalement le C.E.C., commence à produire régulièrement des rapports sur les tactiques employées par les Canadiens à compter de l'hiver 1917, lorsque les Canadiens commencent leur série de grands raids contre les tranchées allemandes. Après Vimy, les rapports sur le C.E.C. se multiplient. Les Canadiens, qui avaient tant appris des Français à Verdun devenaient maintenant dignes d'attention. Vimy a donc eu pour effet d'attirer l'attention sur le Corps expéditionnaire canadien. Beaucoup de généraux alliés considèrent maintenant le C.E.C. comme une formation d'élite.

Vimy trône dans la mémoire militaire canadienne. C'est là, juste au sommet de la cote 145 que sera inaugurée en 1936 un impressionnant monument dédié aux 10 000 Canadiens morts au combat en 1914-1918 et dont les corps n'ont pu être retrouvés. C'est surtout la première véritable occasion d'imposer une manière canadienne de faire la guerre de tranchées.

LA COTE 70

La prise de Vimy n'était qu'une pièce d'un vaste plan des généraux Nivelle (qui vient de remplacer Joffre) et Haig visant à détruire les forces allemandes entre deux pinces, l'une s'articulant sur la Scarpe (près de Vimy) et l'autre sur le Chemin des Dames, la nasse devant se fermer à Saint-Quentin. Les armées britanniques devaient exploiter leur succès initial du printemps pour foncer vers Cambrai et de là, vers Saint-Quentin. Il était prévu que la cavalerie exploiterait le succès des Canadiens aussitôt que ceux-ci domineraient la plaine de Douai. Malheureusement, les défenses sont aménagées en profondeur. Les Allemands se rétablissent sur leur troisième ligne de tranchées, à 2 ou 3 km de la crête. Ailleurs, les progrès des Anglais sont modestes et nulle part n'est réalisée la percée qui aurait permis l'engagement de la cavalerie anglaise. Côté français, c'est pire : l'offensive Nivelle n'étant qu'un jeu de massacres, les poilus se rebiffent, de nombreux régiments allant jusqu'à la mutinerie. L'impasse persiste. Entre-temps, Julian Byng a été promu commandant de la 3e Armée britannique.

Currie est choisi pour le remplacer, malgré le fait qu'il ne soit pas un soldat de carrière (Haig ne donnait de l'avancement qu'aux soldats de carrière, aux cavaliers spécialement) et malgré qu'il ne soit pas le plus ancien major-général disponible. Byng le juge cependant le plus capable.

Sa première grande opération consiste à s'emparer de la cote 70, qui domine la ville de Lens, au nord. Même s'il s'agit d'une opération de moindre envergure, l'opération contre Lens est organisée aussi soigneusement que celle de Vimy. Currie impose sa manière aux Anglais, ce qui cause des délais, car Currie est convaincue que la seule manière de prendre des retranchements sophistiqués comme le sont ceux des Allemands, est de ne rien laisser au hasard. Finalement, après de nombreux combats préliminaires pour s'assurer de bonnes positions de départ, l'assaut est donné les 15, 16, 17 et 18 août 1917. L'avance se réalise généralement sans trop de problèmes, mais les Allemands contre-attaquent avec leur vigueur coutumière. En pure perte, les Canadiens s'y attendent. Ils ont d'ailleurs perfectionné l'étape finale de l'assaut, la consolidation.

L'attaque contre la ville même de Lens peut commencer. Malheureusement, encore une fois, la défense en profondeur a raison des efforts des attaquants et la ligne de front se stabilise sans qu'on ait pu chasser les Allemands de tous les secteurs de la ville. Sur ce front, les Canadiens en avaient terminé. Haig allait bientôt les appeler ailleurs.

CONSCRIPTION ET TROUBLES CIVILS

Pendant que le Corps canadien expérimente des solutions tactiques au problème des tranchées, la situation à l'arrière se complique. Jusque-là, au Canada, le recrutement est volontaire. Or, le conflit est dur et sanglant. On a beau être patriote, il peut être difficile de se convaincre que Vimy ou Cambrai valent le sang de son fils.

Le rendement du volontariat est trop faible pour soutenir à long terme les unités combattantes ; au 31 décembre 1916, le nombre d'enrôlés est inférieur de 200 000 hommes aux prévisions. Pour maintenir l'effectif en ligne de quatre divisions (76 000 hommes sans compter les unités non endivisionnées), il

faudrait de 12 000 à 20 000 nouvelles recrues par année par division, soit environ 4 000 à 6 000 nouveaux fantassins chaque mois.

Or, depuis la fin de 1916, le nombre de volontaires a considérablement diminué, atteignant difficilement les 5 000 par mois et encore ceux-ci ne sont pas tous destinés à l'infanterie. En avril et mai 1917, les pertes canadiennes se montent à 23 939 hommes, mais seulement 11 790 volontaires se sont présentés. Il fallait changer le mode de recrutement sous peine de devoir dissoudre des formations.

De cela, les généraux canadiens sont fermement convaincus dès 1916. Les dirigeants politiques sont cependant plus prudents, car au Canada la tension monte dès que l'on évoque la possibilité d'imposer un service national obligatoire. Mais lors d'un séjour à Londres en avril 1917, le Premier ministre Borden ne met pas longtemps à mettre en rapport les pertes lors de la prise de la crête - 3 600 tués - avec le chiffre du recrutement pour le mois d'avril - 4 500 volontaires. Il retourne au Canada convaincu de la nécessité de la conscription.

La Loi du service obligatoire entre en vigueur le 29 août 1917, non sans un débat houleux au parlement. Borden sait la mesure impopulaire dans les milieux qui ne partagent pas l'enthousiasme pour l'Empire britannique. Mais c'est un politicien astucieux, comme le montre ces manœuvres suivantes. Borden est alors en fin de mandat. Il tente d'abord de faire proroger d'un an le mandat de la législature, mais comme il ne peut obtenir le consentement de l'opposition officielle, des élections générales deviennent inévitables.

Heureusement pour le Premier ministre, il s'est aussi assuré pendant la session de faire adopter une loi sur les élections en temps de guerre.

Le 17 décembre, Borden est réélu sans trop de difficulté, sauf au Québec. La nouvelle législature se réunit en mars 1918 et la loi sur le service obligatoire peut donc être appliquée sans crainte qu'un changement intempestif de gouvernement en compromette l'application.

L'objectif est de trouver 100 000 nouvelles recrues pour assurer le maintien des effectifs du C.E.C.

Au Québec, où la mesure est très mal reçue, les appelés se présentent en nombre insuffisant. Lorsque la police du Dominion (une catégorie de policiers fédéraux) se met à faire la chasse aux récalcitrants dans la ville de Québec, fin mars 1918, l'émeute éclate. Les forces de police sont rapidement débordées et on fait appel à la troupe. On commet cependant un grave impair en dirigeant sur la vieille ville de Québec un régiment d'unilingues anglais de Toronto. Plutôt que de calmer les ardeurs des manifestants, l'arrivée des soldats met le feu aux poudres. Dans la soirée du 1er avril, la foule affronte la troupe. Quatre civils sont tués.

Le lendemain matin, les manifestants se sont évaporés. L'enrôlement des conscrits peut se poursuivre, non sans que de nombreux appelés s'évanouissent dans la nature à l'approche des représentants de la justice. Finalement, 47 500 mobilisés seront envoyés outre-mer et 24 100 d'entre eux se rendront en France. Cependant, peu auront le temps de se rendre au front avant novembre 1918.

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