Journée du 22 mars 2008, Montdidier (80)
Journée du 26 avril 2008, Villers-Bretonneux (80)
L'ATTAQUE ALLEMANDE EN PICARDIE DE MARS 1918
Merci à la personne qui nous a transmis ce texte extrait de "La Guerre racontée par nos Généraux", édité par la Librairie Schwarz, en 1921
2e BATAILLE DE PICARDIE
( 21 Mars - 5 Avril 1918 ).
Texte du Maréchal Fayolle
LA MANOEUVRE ALLEMANDE ET LA RISPOSTE FRANÇAISE SUR MONTDIDIER
Le moment est venu de nous rendre compte de l'immense effort fait par le haut commandement français. Le 21 mars, au début de l'offensive, l'ennemi disposait de 186 divisions, dont 108 en ligne et 78 en réserve (Voir Commandant Laure, " Au 3e bureau du G. Q. G. "), et il en venait toujours de Russie. De leur côté, les Alliés disposaient de 158 divisions (différence en moins 28), dont 97 en ligne (5 belges, 29 britanniques, 2 portugaises, 60 françaises, 1 américaine) et 61 en réserve (1 belge, 18 britanniques, 3 américaines et 39 françaises).
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Remarquons, en passant, que les Français ont en ligne 60 divisions contre 29 anglaises et en réserve 39 divisions contre 18 britanniques. Bien que la Grande-Bretagne et la France aient une population sensiblement égale, les Français tiennent un front plus que double ; plus de la moitié des divisions britanniques est en réserve, tandis que du côté français, la proportion est moins d'un tiers. Pour la majeure partie, les divisions de réserve allemandes se trouvaient groupées dans la région Avesnes, Hirson, à égale distance du centre du front britannique et du centre du front français, en mesure par conséquent d'agir, soit d'un côté, soit de l'autre, soit même dans les deux directions à la fois. On comprend dés lors la prudence avec laquelle le haut commandement français devait choisir les régions dans lesquelles il prélevait les divisions de secours à envoyer en Picardie. |
Cependant, dès le 26 mars, 17 divisions d'infanterie et 4 divisions de cavalerie avaient été dirigées du côté de Montdidier ; dans la semaine suivante, 21 divisions nouvelles et 2 divisions de cavalerie seront encore transportées.
Avec ces troupes, deux nouvelles armées sont formées en arrière de cette partie du front, en vue des opérations ultérieures.
Dès le 28 mars, l'état-major de la Ve armée (Micheler) a été retiré du front de Reims que se sont partagé les deux armées voisines, IVe et VIe, et porté à Méru (au sud de Beauvais).
Peu de temps après, l'état-major de la Xe armée (Maistre), rappelé à son tour d'Italie, vient, le 3 avril, s'installer à Gournay-en-Bray, en arrière du front (ouest de Beauvais).
A la fin de la première semaine d'avril, nous trouvons :
8 corps d'armée et 30 divisions d'infanterie, avec le G. A. R. (Ire et IIIe armées) ;
3 corps d'armée avec 9 divisions d'infanterie et 3 divisions de cavalerie à la Ve armée ~ 2 corps d'armée, avec 4 divisions d'infanterie et 3 divisions de cavalerie à la Xe armée.
C'est à peu près la moitié de l'ensemble de nos ressources et l'effort avait été aussi audacieux que considérable.
Ici apparaît bien le rôle du commandant en chef français. Sur le front immense où s'exerce son commandement, il manœuvre, comme les grands conducteurs de la guerre l'ont toujours fait, avec ses réserves.
Quand la bataille éclate sur un point ou sur un autre, ne pouvant abandonner son quartier général et son état-major pour la conduire lui-même en personne, il donne ses instructions au chef qui sera chargé de les exécuter avec les moyens qu'il lui fournira.
Si plusieurs armées sont intéressées dans cette bataille, il est de toute nécessité, pour diriger, coordonner et harmoniser leurs efforts, qu'elles soient placées sous un commandement unique avec lequel il se tiendra en relation constante ; ce chef est un commandant de groupe d'armées, seul responsable vis-à-vis de lui. Ainsi fut fait dès les premiers jours de cette bataille de mars 1918.
Arrêtons-nous un instant sur la formation de la poche de Montdidier qui en fut le résultat. L'histoire dira plus tard quel était exactement le plan allemand, comment étaient réparties les divisions d'attaque, les directions qui leur étaient assignées et comment les opérations furent conduites. Pour le moment, jusqu'à ce que les documents officiels (situations d'effectifs, ordres, instructions, etc.) aient été publiés, nous en sommes réduits à des conjectures.
Autant qu'on peut juger d'après les événements, le but de la manœuvre était, après avoir séparé les armées françaises des armées britanniques, d'écraser ces dernières et de rejeter leurs débris à la mer, puis de se retourner contre les forces françaises désormais isolées, les routes de Paris ouvertes.
Pour réaliser ce but grandiose, un plan d'action minutieusement étudié était indispensable et il semble bien que ce plan ait été le suivant : faire porter l'effort principal dans la zone de rupture choisie, sur le point de soudure des forces anglaises et françaises ; venir border l'Oise, de la Fére à Compiègne, et peut-être plus au sud encore, pour masquer la gauche française, tandis que la masse de manœuvre allemande se rabattait vers la Somme, par le sud d'Amiens, de façon à entourer la droite des armées britanniques.
De là, la répartition des forces en deux parties : l'une destinée à faire brèche (Einbruch) et à progresser au delà ; c'étaient sans doute deux lignes de divisions successives, les divisions de 2e ligne destinées à venir s'intercaler entre celles de 1 re ligne à mesure que le front s'élargirait, plus des réserves partielles, notamment sur les flancs en vue d'élargir la brèche ;
L'autre, la masse de manœuvre (Durchbruch), suivant en arrière, à gauche, en vue de l'exploitation. Direction : Saint-Quentin, Ham, Roye, nord de Montdidier, Ailly-sur-Noye, Conty.
Ce plan a parfaitement réussi jusqu'au 26 mars. Dès le 23, la ligne de défense de la Somme, manœuvrée par le sud, est tombée, le canal Crozat est franchi et le passage est ainsi ouvert à la masse principale. Le 25, Noyon est pris et l'ennemi tient les passages de l'Oise, de la Fère à Noyon, couvrant ainsi son flanc gauche, du côté de l'armée française.
Le 26, il s'acharne à nous refouler encore plus au sud, en direction de Compiègne. Mais la IIIe armée commence à se former et nous l'arrêtons sur la ligne Mont Renaud, Plémont, Lassigny, tandis que plus au nord, la masse de ses forces dépassant Nesle et Roye gagne 15 kilomètres vers l'ouest.
Le 27, la IIIe armée contient toujours la gauche allemande dans le massif de Boulogne-la-Grasse. Cependant la manœuvre se poursuit, la masse progresse encore vers l'ouest d'une douzaine de kilomètres et atteint Montdidier. En six jours elle a parcouru 60 kilomètres.
Le 29, l'Avre - plus exactement le ruisseau des Trois-Doms, qui prolonge l'Avre jusqu'à Montdidier est franchi au nord de cette dernière ville.
Le 30, les forces allemandes débordent sur les plateaux de la rive gauche de l'Avre, en direction d'Ailly-sur-Noyé
Mais à son tour la Ire armée, qui se forme entre Montdidier et Amiens, les contient et leur barre victorieusement le chemin.
Voici huit jours que les troupes allemandes sont en marche ; l'effort qu'elles ont fourni est énorme ; elles meurent de faim, car les ravitaillements n'arrivent plus ; le terrain en arrière est couvert de morts et de blessés ; en outre, toutes les unités sont mélangées et le commandement s'exerce difficilement. Il faut s'arrêter pour souffler, dormir, boire et manger, attendre l'artillerie qui n'a pas suivi, remplacer les munitions épuisées, remettre de l'ordre dans ce débordement d'invasion.
Cinq jours y sont employés, du 31 mars au 4 avril.
Le 4 avril, de nouvelles divisions sont arrivées, d'autres ont été reconstituées, des relèves ont été faites ; au total, une douzaine de divisions sont disponibles ; von Hutier les lance à l'attaque de part et d'autre de Moreuil.
Il est trop tard ; le front de la Ire armée est désormais aussi solide de ce côté que celui de la IIIe armée entre Noyon et Montdidier. La manœuvre a échoué.
Elle a échoué pour les raisons que nous venons d'énumérer :
D'une part, raisons passives, l'épuisement qui résulte de dix journées de marche continue, à travers champs, en combattant de jour et de nuit ; les ravitaillements en vivres et en munitions qui ne se font plus, car, en se retirant, Anglais et Français ont coupé les voies ferrées et mis les routes hors d'usage, et il a fallu d'ailleurs, tout d'abord, rétablir la continuité des passages dans la zone bouleversée du départ, le " No man's land ", etc.
D'autre part, raison active, l'intervention des deux armées françaises qui, en huit jours, du 23 au 30, se sont formées en plein combat, de Noyon à Demuin, sur un arc de cercle de 80 kilomètres d'étendue. Les Allemands pouvaient-ils faire mieux ? Non. La manœuvre était très bien montée par le spécialiste Hutier, mais il a trouvé en face de lui les troupes françaises, ardentes, manœuvrières, que l'on aurait pu croire ankylosées par quatre années de guerre de tranchées et qui ont repris instantanément l'habitude de la guerre de mouvement.
De fait, nos divisions n'ont reculé, tout d'abord, que parce qu'elles étaient débordées sur leur flanc gauche, ou bien que, tenant des fronts trop étendus, elles ne pouvaient empêcher l'infiltration. Dès que le terrain a pu être réparti entre elles à raison de 4 ou 5 kilomètres, le Ilot de l'invasion a été contenu.
Pour la première fois dans l'histoire, on a vu deux armées se former en pleine bataille, sous le feu, en combattant.
La première règle de la stratégie est de réunir ses forces, de les ordonner avant la bataille. Ici les troupes ont été jetées au combat, jour par jour, heure par heure, dès leur arrivée, souvent même sans qu'il ait été possible d'attendre que leurs canons aient pu les rejoindre.
Au demeurant, la bataille de Montdidier, la première victoire de 1918, fait le plus grand honneur aux armées françaises.
Chefs et troupes y ont pris toute la part qui leur revenait dans l'ensemble.
Le Général Foch, en donnant comme directive unique de poursuivre la liaison avec les armées britanniques, coûte que coûte, quelque étendue que fût la brèche ;
Le général Pétain, en exécutant avec ses réserves la plus belle et la plus audacieuse manœuvre de transport de réserves qui se puisse imaginer ;
Les Ire et IIIe armées du G. A. R., en combattant avec autant d'habileté que de ténacité.
Les combats que la IIIe armée (Humbert) a livrés sur ce front, jalonné par le Mont Renaud, le Plémont, le massif de Boulogne-la-Grasse, Assainvillers, resteront à jamais mémorables, aussi bien que ceux grâce auxquels la Ire armée (Debeney) a pu arrêter la masse principale des forces allemandes à Mesnil-Saint-Georges, à Grivesnes, à Mailly-Reineval, à Moreuil et à Hangard.
RÉSULTAT DE L'ATTAQUE ALLEMANDE SUR MONTDIDIER
Quel était le résultat final de la manœuvre allemande :
Partie sur un front de 90 kilomètres environ elle était venue s'enfoncer jusqu'à 70 kilomètres de la base de départ, entre Montdidier et Rouvrel.
Il en résultait une " hernie " ou " poche " qui mettait les Allemands en très mauvaise posture puisqu'ils y étaient entourés de toutes parts ; une telle situation, si elle se prolongeait, contenait en germe une défaite certaine.
Le front à tenir était augmenté de prés de 100 kilomètres, de part et d'autre, il est vrai ; toutefois, la situation générale ne permettait guère aux Allemands de l'organiser solidement et l'attaque en devait être d'autant plus facile.
L'échec de cette première manœuvre, qui devait être décisive, a dû mettre le G. Q. G. allemand dans un grand embarras.
Que convenait-il de faire ?
Evacuer la poche et revenir, sinon sur l'ancienne position, celle du départ, tout au moins sur une position intermédiaire ? C'était avouer publiquement la défaite subie. L'orgueil allemand ne le permettait pas et il en serait, d'ailleurs, résulté une profonde dépression morale dans les armées de la Germanie.
Y rester ? C'était risquer les pires aventures.
La situation était donc, pour les Allemands, angoissante et cela peut expliquer la hâte avec laquelle ils allaient rechercher ailleurs des remèdes ou des succès compensateurs. Tout, d'ailleurs, n'était pas fini dans cette hernie de Montdidier et la Ire armée devait encore livrer les plus durs combats, en union avec la droite de la IVe armée britannique (Rawlinson), à Hangard et à Villers-Bretonneux, pour couvrir Amiens. Sans attendre que de ce côté la situation fût stabilisée, dès le 5 avril, le G. A. R. donnait des ordres de contre-offensives locales, en vue de préparer l'offensive générale ultérieure. Une instruction en date du 5 avril donne aux Ire et IIIe armées les indications suivantes :
" La mission de la Ire armée est :
" 1° A gauche, de maintenir à tout prix la liaison avec les Anglais.
" En conséquence, le commandant de la Ire armée fera tous ses efforts pour reprendre la ligne Moreuil, Demuin et déboucher au delà ;
" 2° Au centre, de rejeter l'ennemi sur l'Avre et le ruisseau des Trois-Doms.
" La mission de la IIIe armée est de préparer d'urgence et d'exécuter le plus tôt possible une contre-offensive de part et d'autre du massif de Boulogne-laGrasse, dans le but d'atteindre la route de Roye à Montdidier, de dégager cette dernière ville et de faire tomber le massif de Boulogne-la-Grasse. "
Des troupes fraîches étaient mises en conséquence à la disposition de l'une et de l'autre armée. D'autre part, dés le lendemain 6, le général Foch organisait une action combinée entre la Ire armée française et la IVe armée britannique dans le même but : rétablir la ligne de soudure sur le front Moreuil, Demuin, Aubercourt, Warfusée.
En fait, sur le pourtour de cette poche de Montdidier, tant sur le front de la Ire armée que sur celui de la IIIe, les plans de contre-offensive générale ne devaient pas cesser de rester à l'étude jusqu'au moment de l'exécution.
Mais encore, fallait-il avoir les troupes nécessaires à une grande attaque d'ensemble. Or, les événements allaient se précipiter et ce n'est qu'en août qu'il fut possible de les rassembler ; à ce moment on recueillit les bénéfices de toutes les études entreprises jusque-là.
Même le temps fit défaut pour réaliser l'attaque combinée prévue par le général Foch ; un nouvel orage allait, en effet, éclater sur le front anglais, dans la région d'Armentières.