LA BATAILLE DE CHATEAU-THIERRY

- 3 SEPTEMBRE 1914

(Vue par le Général von Kuhl)

 

Le texte en Allemand, du Général von Kuhl a été édité au lendemain de la guerre, en 1920. La traduction française du Commandant Koeltz, est sortie en 1927, chez Payot. Ce texte, présenté sur ce site est particulièrement intéressant par les analyses comparatives des théories en présence.

LA JOURNEE DU 2 SEPTEMBRE.

LA Ire ARMÉE POUSSE SUR CHATEAU-THIERRY CONTRE L'AILE GAUCHE FRANÇAISE

 

L'attaque projetée le 2 septembre par la 1re armée contre les Anglais échoua comme nous l'avons déjà dit.

Le commandement de la 1re armée se rendit à midi à Compiègne. Nous nous installâmes pour travailler dans le superbe château.

Le IIe C. A. se heurta à Senlis à l'ennemi et le refoula. Le 2e C. C. avait appuyé l'attaque. Dans la soirée un combat de rues s'engagea à Senlis. D'après le compte rendu du IIe C. A. les forces ennemies comprenaient une division française, des chasseurs alpins de réserve, des Marocains et à Néry une brigade de cavalerie anglaise. Un compte rendu ultérieur du 3 septembre signala que la division française était la 56e D. R. qui avait été débarquée à Montdidier. Donc une unité nouvelle !

D'après un renseignement d'aviation (parvenu à 12 h. 50) une longue colonne ennemie avait été observée dans la matinée sur le flanc droit de l'armée, en marche sur la route de Beauvais à Gisors (sud-ouest de Beauvais). Les routes conduisant de Beauvais vers le nord-est, le nord et le nord-ouest étaient libres d'ennemis.

Le IVe C. R. atteignit Creil par Clermont et s'y heurta à l'ennemi. A l'aile gauche de l'armée les événements prirent une tournure importante. Le commandant du IXe C. A. avait reconnu de bonne heure dans la matinée du 2 septembre que les Anglais ne pouvaient plus être rejoints. Pendant une halte de deux heures près des Vallées de Nadon (nord de Neuilly-Saint-Front), il reçut un renseignement d'aviation, précis et important (parti de Neuilly-Saint-Front à 8 h. 45 du matin), d'après lequel des colonnes ennemies étaient en retraite de la ligne Braisne-Fismes, en direction du sud vers les ponts de Mont-Saint-Père et Jaulgonne (entre ChâteauThierry et Dormans). Elles étaient évaluées à 3 corps d'armée.

Le commandant du corps d'armée, le général de l'infanterie von Quast, prit la décision d'attaquer ces forces encore au cours de la journée par Château-Thierry et rompit à 13 heures de Neuilly-Saint-Front avec la 18e D. I. pour marcher sur Château-Thierry par Bonnes. La 17e D. I. fut rameutée sur Oulchy-le-Château par Soissons. Le 1er C. C. fut prié d'attaquer l'ennemi sur ses derrières par Fère-en-Tardenois ; le IIIe C. A. fut invité par officier de liaison en automobile, parti de Neuilly-Saint-Front à 12 h. 45 et arrivé à 14 h. 5, à appuyer l'attaque en se portant en direction de Charly-Nogent l'Artaud. Le commandant du IXe C. A. s'efforçait ainsi, par une décision hardie, pleine d'initiative et d'une énergie extrême, d'atteindre un but auquel le commandement de l'armée n'espérait plus parvenir.

Le général von Quast avait d'abord cherché à obtenir auparavant l'assentiment du commandant de la 1re armée et avait envoyé dans ce but un officier d'état-major à Compiègne ; mais par la suite il décida de ne pas attendre son retour pour ne pas perdre de temps. Sur ces entrefaites l'officier d'état-major arriva à Compiègne; le commandement de la 1re armée approuva le projet et lui dicta à 13 h. 45 un ordre prescrivant de porter le corps d'armée en direction de Château-Thierry dans le flanc gauche de l'ennemi. Il n'était que la confirmation de la décision déjà en voie d'exécution.

A 14 heures le commandement tint compte de la situation nouvellement créée en envoyant un ordre d'armée. D'après cet ordre le IVe C. A. devait se porter jusqu'à la Thérouane dans la région Oisserie-Fosse Martin, le IIIe C. A. devait se porter encore au cours de la journée aussi loin que possible en direction de Château-Thierry. Le 2e C. C. devait rester à l'aile droite pour éclairer vers Paris et la Marne en amont de Paris ainsi qu'en direction Pontoise-Beauvais.

 

 

Des renseignements reçus au cours de la journée au sujet des Anglais il résultait que ceux-ci s'étaient repliés derrière la ligne de la Marne entre Meaux et La Ferté-sous-Jouarre. A Meaux de grands bivouacs avaient été observés. Il ne parut plus possible d'atteindre les Anglais. Par contre on avait encore la possibilité d'arrêter les Français au nord de la Marne par une attaque de flanc jusqu'à ce que la 2e armée fût arrivée. Une fois parvenus derrière la Marne ils ne pouvaient plus être atteints.

Le commandement de la 1re armée examina également la possibilité de franchir la Marne approximativement entre La Ferté-sous-Jouarre et Château-Thierry pour rendre plus efficace le coup porté dans le flanc de l'ennemi, mais il rejeta cette idée. Nous n'étions pas assez forts. Le colonel-général von Kluck était, comme mes notes en témoignent, complètement hostile à cette idée.

Un compte rendu détaillé fut adressé à la Direction suprême à 20 heures : " Les avant-gardes de la 1re armée et le corps de cavalerie ont rejeté, les 1er et 2 septembre, des arrière-gardes anglaises au cours de violents combats. Gros des forces se replie sur Dammartin-Meaux. IIe C. A a battu une division d'infanterie française et la division de cavalerie anglaise à l'est dé Senlis. Fortes masses françaises en retraite par Fère-en-Tardenois et à l'est en direction de Château-Thierry-Dormans. IXe C. A. a conversé sur ce point pour saisir le flanc ennemi. IIIe C. A. suit en échelon à l'est de Crouy, résultat encore inconnu. Aviateurs signalent également rassemblements de troupes au sud de la ligne de la Marne La Ferté-Meaux. IVe C. R. région Creil, IIe C. A. est de Senlis, assurent couverture face à Paris. IVe C. A. en liaison à l'est de Nanteuil. Partie du cours de la Marne Château-Thierry-La Ferté libre jusqu'à présent. Tentative de la 1re armée pour franchir la Marne le 3 septembre aurait néanmoins des chances incertaines ".

La 2e armée nous fit savoir à 19 h. 30 que devant elle l'ennemi était en pleine retraite vers le sud derrière la Marne et qu'elle voulait atteindre la Marne le 3 avec ses avant-gardes.

Le IXe C. A. parvint encore le 2 jusqu'à Château-Thierry avec la 18e D. I.; il y arriva à une heure avancée de la soirée et après avoir couvert une double étape ; la 17e D. I. suivit en hâte jusqu'à Oulchy-le-Château. Le IIIe C. A., qui avait l'ordre de se porter encore aussi loin que possible en direction de Château-Thierry, ne put pas exécuter cet ordre à cause de l'heure tardive. Il était passé au repos dans la région de La Ferté Milon. Le IVe C. A. atteignit la région sud-est de Nanteuil-le-Haudouin, le IIe C. A. la région sud de Senlis, le IVe C. R. Creil, le C. C. la région de Nanteuil-le-Haudouin.

A 21 h. 45 l'ordre pour la journée du 3 septembre fut dicté aux officiers de liaison des corps d'armée. Parmi les renseignements reçus il faut encore citer qu'en dehors des colonnes qui s'étaient repliées vers Meaux d'autres colonnes ennemies venant de la direction de Nanteuil-le-Haudouin s'étaient également repliées sur Dammartin. Le IXe C. A. dont on n'avait encore à ce moment-là aucun compte rendu sur les événements qu'il avait traversés, devait continuer le 3 a à attaquer le flanc des forces françaises qui se repliaient devant la 2e armée sur Château-Thierry par Fère-en-Tardenois " ; le IIIe C. A., au sud du IXe, devait prendre la direction de Château-Thierry " pour attaquer l'ennemi au passage de la Marne ". " Si l'ennemi n'est pas atteint, les deux corps évacueront vers l'ouest la route Soissons-Château-Thierry, route de marche de l'aile droite de la 2e armée ". Le IVe C. A., couvrant son flanc droit face à Paris, devait se porter dans la région de Crouy. Le IIe C. A. devait glisser vers la gauche sur Nanteuil-le-Haudouin, le IVe C. R. devait le suivre vers la région est de Senlis. Le corps de cavalerie restait dans la région de Nanteuil-le-Haudouin. Un jour de repos était devenu indispensable pour la cavalerie.

La situation et les intentions du commandement furent expliquées aux officiers de liaison des corps d'armées. Il leur fut dit que le lendemain on ferait encore une tentative pour amener les forces ennemies qui se repliaient devant la 2e armée à s'arrêter en les attaquant en flanc avec l'aile gauche de l'armée pendant que le centre et l'aile droite prendraient leurs dispositions pour assurer la couverture face à Paris-Meaux : " Un passage de la Marne n'est pas vraisemblable et ne sera envisagé que dans des circonstances particulièrement favorables, par exemple si sous une forte pression de la 2e armée les Français passent la Marne en grand désordre et si nous pouvons en même temps nous emparer des passages ".

La 2e armée avait continué le 2 septembre son mouvement en avant et s'était portée au delà de la Vesle jusqu'à la région Noyant-Cuiry House-Chéry-Poilly. Q. G. de l'armée à Fismes.

La 3e armée, marchant vers le sud, atteignit en combattant la ligne Isles-Nauroy-Saint Soupplet-Sainte Marie à Py. Elle avait fait des observations importantes qui ne furent pas connues cependant du commandement de la 1re armée. Devant elle l'ennemi était en pleine retraite vers le sud. Des embarquements de troupes avaient lieu dans les gares de Suippes, Somme-Tourbe, Cuperly, etc... L'ennemi retirait donc des forces de son front et les transportait, semblait-il, par Châlons-sur-Marne et Arcis-sur-Aube, en se couvrant par des arrière-gardes. La Direction suprême tenant pour " vraisemblables des tentatives de retraite de l'ennemi vers le sud-ouest ", invita la 4e et surtout la 3e armée à se porter énergiquement en direction générale du sud (radio du 2 septembre, 4 h. 40).

Le 3 septembre la 2e armée voulait " continuer la poursuite de toutes ses forces. Il s'agissait pour elle, en talonnant sans répit l'ennemi qui semblait déjà fortement ébranlé, d'accentuer sa dissolution. Les grandes quantités d'objets d'équipement et de munitions abandonnées le long des routes de marche et dans les positions de batteries évacuées furent considérées avec raison comme des indices de cette dissolution " (von Bülow, ouv. cit., page 49). La Direction suprême approuva ce projet et ajouta : " Gagner la rive sud de la Marne ".

Si a 1re armée ne parvint plus le 3 septembre à accrocher l'ennemi en flanc, la 2e armée, elle, ne put plus l'empêcher de franchir la Marne parce qu'elle était trop loin de lui. Derrière cette coupure il fut facile aux Français de se débarrasser de leurs poursuivants.

La 4e armée parvint le 2 septembre jusqu'à Somme Py-Manre-Séchault-Autry ;l'ennemi était en retraite sur Châlons, Sainte-Menehould et Clermont.

La 5e armée rencontra, elle aussi, une forte résistance après avoir passé la Meuse. Sa situation n'était pas facile, car son mouvement s'effectuait à travers la région difficile de l'Argonne, avec Verdun et les forts de Meuse dans son flanc. Elle fut par suite obligée de se couvrir face à Verdun au cours de sa marche ultérieure. Sur la rive droite de la Meuse le Ve C. A. préparait une attaque contre les forts de Troyon et des Paroches pendant que la réserve générale de Metz prenait à son compte la couverture face à Toul-Nancy.

RETOUR VERS LE MENU DES BATAILLES DANS LA BATAILLE

RETOUR VERS LA PAGE D'ACCUEIL