FISMES DANS LA PREMIERE BATAILLE DE LA MARNE

Merci à Monsieur Bruno Dehaye, historien fismois, qui nous a autorisé à reproduire les textes suivants extraits de son livre "Les Fismois de 14/18".

 

INTRODUCTION

 

Les dernières années du XIXème siècle ont achevé de faire de la commune de Fismes un bourg-centre attractif. Les rues sont bruissantes d'activités. Charrettes et badauds s'y pressent, abondants. Bistrots et commerces fonctionnent sans accroc. Les usines drainent de nombreux ouvriers. Les habitants du canton et des proches communes de l'Aisne aiment à s'y retrouver.

Pourtant, l'insouciance laisse peu à peu place à l'inquiétude. Les bruits de guerre atteignent Fismes, même si ce n'est que de manière feutrée, voilée. Jaurès, Sarajevo sont des noms connus, mais si peu.

Et voilà qu'arrive l'année 1914. Certains commerces sont plus fréquentés que d'autres. On parle alors d'approvisionnement. Prudence et méfiance deviennent le lot commun.

Un homme, curieux, vif, intéressé, observe et écoute. Il s'agit de l'abbé Midoux, professeur à l'école Sainte-Macre. Il note, interroge, suppute. Il aime écrire et consigner ses impressions.

Ainsi, le samedi 1er août, quand il voit les Fismois se ruer dans les magasins pour emplir leur garde-manger, quand il entend le tambour résonner aux quatre coins de la ville pour ordonner la mobilisation générale, quand il lit le désespoir s'inscrire sur les visages des femmes, mères ou épouses, il est plus attentif que jamais.

La chasse aux sorcières commence immédiatement. Les étrangers sont suspectés, menacés, voir malmenés. Certains sont des espions, certes, mais la plupart sont d'honnêtes citoyens. Alsaciens, Luxembourgeois, Lorrains sont mis en quarantaine.

Originaires de l'Est, de nombreuses sœurs du pensionnat Sainte-Chrétienne deviennent des pestiférées. L'abbé Midoux se rend en Belgique, à Chimay, où il existe également un pensionnat Sainte-Chrétienne, afin de déplacer des sœurs françaises vers Fismes. Là, il rencontre déjà des hordes de fuyards, en larmes, désespérés. Des déserteurs belges lui demandent sa bénédiction : ils rentrent dans leur pays pour le défendre, faisant amende honorable. De retour dans la région, l'abbé découvre une ville de Reims

envahie par des milliers de personnes fuyant devant l'Allemand, déjà sur leurs talons.

Il entame alors un long article, consacré aux dix premiers jours de la guerre, qui paraîtra quelques années plus tard dans un des Almanachs Matot-Braine. Aujourd'hui encore, il fait autorité, restant le meilleur témoignage fismois de cette douloureuse période.

Toutefois, des documents nouveaux m'étant parvenus, tels que les archives municipales, les mémoires de l'infirmière Givelet, des récits militaires, des lettres de familles fismoises ou des témoignages, j'ai souhaité ajouter ma pierre à l'édifice du souvenir, en y apportant une sensibilité, un état d'esprit, un éclairage différents, qui me sont propres.

C'est ainsi que je livre au lecteur ce récit guerrier, vu non par les faiseurs de mort, comme tant d'autres, mais par les Fismoises et les Fismois, épouvantés, en colère, ou simplement fatalistes ; par ces émigrés, perdus et hagards ; ou par ces inconnus venus mourir sur notre sol.

Dans une deuxième partie, lettres, plaintes et documents administratifs donnent une idée du calvaire que les Fismois, à l'instar des Français du nord, ont vécu au quotidien. Puzzle éclaté, dépouillé, plus que récit construit, ces lignes retracent sans commentaires appuyés la vie en pointillé d'une population qui aura entamé une guerre atroce par dix journées d'enfer, et qui la terminera par quatre mois apocalyptiques, entre mai et septembre 1918. Quatre mois qui feront table rase du passé fismois.

 

DIX JOURS EN ENFER (du 2 12 septembre 1914)

 

2 septembre 1914

 

Il est presque cinq heures et demie du soir quand le garde-champêtre donne l'alarme avec son tambour de Ville.

" L'ennemi arrive ! crie l'homme. Monsieur le maire demande à toute la population de garder son calme. Il ne sera fait aucun mal à ceux qui ne résistent pas. Nous rappelons qu'il est obligatoire de déposer en mairie armes et munitions. Ne conservez rien chez vous de ces ustensiles. Cela se retournerait contre vous ! "

Le garde-champêtre court des Promenades à Fismette, de Fismette à la route de Reims. De la route de Reims au faubourg de Soissons.

C'est ici qu'il découvre huit cavaliers, rangés deux à deux, face à lui. Il se tait un instant. C'est la première fois qu'il voit des envahisseurs. Il est impressionné. Pire, il a peur. Il n'en a pas trop honte. Il sait que tous ses compatriotes sont comme lui, partagés entre cette peur insidieuse, omniprésente depuis un mois, et cette colère qu'il lui faut rentrer, le temps de la présence des Allemands.

Au même moment, un autre groupe de cavalerie arrive de Merval. Il est beaucoup plus important, celui-là. Derrière, fiers et orgueilleux, les fantassins ennemis suivent, triomphants.

L'invasion a commencé.

Fismette est passée. Les uhlans remontent lentement la route qui mène à l'Hôtel de Ville. Les Fismois regardent cette mauvaise troupe qui avance, qui les nargue. Beaucoup baissent les yeux, trop touchés. D'autres, au contraire, fixent l'ennemi. Alors, un bruit court, parmi les femmes.

" C'est Pirlaine, c'est Pirlaine ! "

Effectivement, sur l'un des chevaux caracolant devant l'infanterie, un homme ne semble pas inconnu aux Fismoises.

En fait, tout à débuté en 1911. A l'époque, les colporteurs étaient nombreux à se rendre de village en village. L'un d'entre eux était Alsacien. Son accent à couper au couteau lui avait valu le sobriquet de Pirlaine. Pourquoi ? Vendeur de boutons et d'aiguilles, de tissus et de fils, il vantait sa marchandise avec talent. " Tâtez-moi ces fils, disait-il. C'est du pure laine "

Ne maîtrisant pas correctement la langue, il disait " pire laine ". Le surnom lui était resté.

Alors, cet homme, ce uhlan, est-ce bien lui ? Pirlaine était-il un espion à la solde des Prussiens ?

En attendant, il passe, créant ainsi une légende qui sera longtemps dans la bouche des Fismois.

Les uhlans s'arrêtent face à l'Hôtel de Ville.

Dans le vestibule, le maire, Constantin Couvreur, ses adjoints, Lucien Petit, et Edmond Couvreur, et les conseillers Debacq et Barbey attendent.

Ils sont tristes, naturellement, et Lucien Petit peut-être encore plus que les autres. Son gendre, le lieutenant Hubert, vient de trouver la mort à Dinant. Personne ne sait encore que ce mort n'est que l'un des premiers de millions d'autres.

Les Allemands, à leur tête le baron Von Kron, pénètrent dans l'Hôtel de Ville. C'est le début de la fin

" Cette mairie a deux ans ", pense le maire de Fismes, blême, fier et droit.

Le vieux Constantin Couvreur vacille.

Il entend encore les échos des trompettes de l'inauguration se promener sous les toits ; il se voit découvrir la fine sculpture qui héraldique le thorax du bâtiment ; son esprit fait marche arrière, se fixe sur cette foule, sur ces Fismois qui l'accompagnaient, en novembre 1912.

Il l'aime bien, l'Hôtel de Ville qui sent le neuf ; qui sent le chaud... Qui maintenant sent le boche.

Le vieux Constantin Couvreur vacille.

Ses adjoints le soutiennent. Il est malade et n'aspire plus qu'à de courtes réunions de conseil, bien calmes, dans lesquelles remueurs de terre grasse, manipulateurs de tissus au mètre, parapheurs d'actes de bon droit ne s'engueulent qu'avec courtoisie, sans débordement, sans colère. Avec la grâce malhabile et bien pensante des notables certains de leur importance.

Ses jambes le font souffrir et le soldat allemand qui lui fait face ne les regarde même pas. Ce soldat - un cavalier - lui parle. Bruits de gorge, bruits de bottes. Le maire fait la moue et ne comprend pas. Impatient, il fait un geste. Fontaine, le professeur d'allemand dit quelques mots. Le soldat répète. Fontaine traduit :

" Il veut des otages, il veut entrer dans Fismes en sécurité... " Couvreur fait un pas et semble tanguer, comme un marin surpris par un soudain roulis. Toujours fier cependant, et blême.

Le soldat grimace et fait un signe à ses compatriotes, restés dehors. Deux d'entre eux remplacent les adjoints qui soutenaient le maire. Avec fermeté, assortie d'une once de ménagement, ils emmènent l'édile dans son bureau. Constantin Couvreur regarde sa montre. Il est un peu plus de cinq heures et demie de l'après-midi.

Les autres Français sont sommés de sortir. Ils sont les notables. On leur offre une veste d'otage. Un peu trop ajustée, peut-être, un peu trop serrée à la gorge. Les bourgeois de Calais-la-corde-au-cou sont fismois, aujourd'hui.

Pendant que les otages sont emmenés par les envahisseurs, le maire repense aux dernières heures, qui se sont emmêlées les unes aux autres à une vitesse stupéfiante, chacune d'elles apportant son lot de misère et de tristesse.

Tout autour de lui semble s'être effondré comme un château de carte.

Depuis l'aube, des coups de canons résonnent, venant de l'Aisne. A quatre heures, le génie français a fait sauter le pont de Fismette, pour retarder l'invasion. Rude coup pour la commune. On savait les Allemands proches. On ne les savait pas aux portes de la ville. Fismes connaît la cohue chaque semaine, à l'occasion du marché. Cette fois-ci, la foule qui traverse la ville dans tous les sens est encore plus nombreuse. On ne retrouve pas cependant l'insouciance habituelle. Les yeux sont hagards. Chez certains, ils sont même fous, habités d'une panique incommensurable. Il y a chez ces gens la même misérable tristesse que connaissent tous les peuples pourchassés, meurtris, qui hantent les routes et les chemins. Ce sont des réfugiés.

Oh, ils ne sont pas les bienvenus, ces réfugiés.

" Déjà qu'on n'a plus rien à manger, grognent les Fismois. Encore faut-il que ces étrangers viennent nous prendre nos dernières provisions ! "

Eternelle rengaine.

Il n'empêche, les rues sont bruyantes. Et le maire n'y peut plus grand chose.

Au sud de Fismes, un gendarme scrute avec anxiété les routes et les chemins. Les Allemands sont sur ses talons. Quel gâchis... Parti depuis plusieurs jours pour retrouver ses camarades, pour les regrouper et leur donner un semblant d'ordre, il s'aperçoit que sa mission est un échec complet. II a quitté Saint-Quentin avec une brigade, pour se rendre d'abord à Laon. Sans le moindre succès. L'ennemi derrière lui, il a traversé Bruyères, Vendresse, Bourg, Longueval. Il s'est ensuite précipité à la brigade de Fismes. Ses collègues marnais n'y étaient plus. Les premières lueurs de l'aube étaient chaudes. Des ponts sautaient, on ne savait où. Les bruits étaient effrayants, un rien surréalistes. Comment en était-on arrivé là ? Après avoir entendu quelques dames encore présentes dans la gendarmerie, il s'était rendu au collège Sainte-Macre. Les voix d'enfants y étaient douloureusement absentes. Des infirmières guettaient avec anxiété l'arrivée des premiers malades, car cette ambulance était réservée aux malades. Elles savaient qu'avant la fin du jour, leur hôpital de fortune serait en effervescence.

Les rues fismoises étaient déjà pleines de réfugiés. Des gens du Nord pleuraient leur bétail laissé en pâture, à la merci de l'armée prussienne. Tant de viande alors qu'eux mouraient de faim ! D'autres n'avaient plus la force de se plaindre, tels ces jeunes enfants qui marchaient en traînant les pieds derrière une charrette de fortune, tirée par un chien aux pattes rougies de sang, gémissant, mais avançant tout de même.

Et toute la journée, cela avait été à l'avenant. Les émigrants traversaient la ville en tous sens, persuadés de suivre le bon chemin. De temps à autre, une rumeur apparaissait, enflait. La voie de Ville-en-Tardenois est la meilleure. Alors, par centaines, les pauvres hères y couraient. Peu après, une autre route leur était conseillée. Demi-tour, à l'infini. A devenir fou.

Le gendarme soupire, donne l'ordre à sa petite troupe de repartir. La ville est perdue !

Poussés dans le dos par des pistolets, les otages marchent. Direction Saint-Gilles. Ils sont méfiants, les uhlans. Les pavés semblent étonnés sous ces pas secs et sans complaisance.

" Ils ne sont pas d'ici, ceux-là. M'étonnerait point qu'ils aient des intentions malveillantes. "

De chaque côté de la rue, les fenêtres se ferment. Derrière les fenêtres fermées, les regards se figent. Derrière les regards figés, les esprits s'affolent. Ou se résignent. C'est selon. Les plus vieux se rappellent 1870. Les plus jeunes se souviennent des paroles des plus vieux.

" Y'en a vingt neuf des vôtres qui sèchent au cimetière, grommelle un Fismois ". En effet, il y avait eu des morts, à l'époque. Des fichus Prussiens, surtout.

Le grommelleur le dit à tout le monde... mais surtout pas à eux. Un fond de trouille, quelque part.

Pendant ce temps, les otages marchent. La porte de Saint-Gilles est aveugle. Ils continuent. Les soldats français ne sont pas loin. Les otages le savent. Les Allemands le savent. Qui va tirer le premier ? Ils marchent. L'usine à gaz. Qui ? Ils marchent. Les abattoirs. Prémonitoire ? Ils marchent. Enfin le stand de tir. Les Allemands se déploient, éventail sans le charme.

Les Allemands découvrent alors que les Français sont loin, repoussés, comme tirés au cordeau par deux mains puissantes qui courent sur le bout des doigts, vers le sud. Tout va bien, on va rester entre amis.

Demi-tour. Il fait chaud. La veste d'otage est de plus en plus inconfortable. Fontaine a peut-être plus peur que les autres. Il sait, lui, ce qu'ils jargonnent, les envahisseurs.

Pendant ce temps, en ville, c'est la foire. Des soldats allemands marchent, courent, insultent les chevaux, poussent les charrettes, font claquer militairement armes et dents, dans le désordre. Mélangés, mais sans pour autant être ensemble, comme s'ils existaient à côté, des canards, des poules, des vaches, des Français continuent à se sauver. Les pieds se traînent, fatigués, silencieux bien que criant mal et panique.

Les otages rentrent dans la mairie, celle qui a deux ans.

L'émigré est fatigué. Depuis Vervins, il marche, avec armes et bagages. Un peu de repos lui ferait du bien. Arrivé à Fismes en même temps que l'Allemand, il se fond dans la foule. Une seule idée habite son esprit depuis qu'il est parti : mettre le plus de kilomètres possibles entre lui et les envahisseurs. C'est un peu raté. Il s'assoit quelques instants près du " Bon Coin ", le bien nommé. Il soupire, masse ses pieds endoloris après avoir enlevé ses grosses chaussures. Le soir approche lentement. Il va lui falloir trouver un abri. Déjà, les gens sont moins nombreux. Il est vrai que la présence des Prussiens en a échaudé plus d'un. La route de Ville-en-Tardenois, qui grimpe lourdement vers le sud-ouest, a attiré les marcheurs. Ils sont nombreux à l'avoir empruntée.

Lui, le petit gars de Vervins, il reste là. Demain est un autre jour.

Soudain, il entend des cris. Des braillements, pourrait-on dire. De la route de Saint-Gilles, il voit apparaître un groupe d'hommes. Les civils ressemblent à un troupeau de cochons qu'on mène à l'abattoir. Les tueurs, vêtus de gris, les encadrent. Ils ont déjà l'arme à la main.

L'un des Allemands s'adresse à lui.

Naturellement, il ne comprend pas. Il remet ses chaussures, se lève, et écarte les bras.

" Il vous demande d'approcher, lui dit un homme. " Il s'agit de Fontaine, le traducteur.

Docile, l'Axonais obéit, lève les bras. Brutalement, le soldat lui prend son paquetage, le vide sur le sol. Parmi les effets personnels, bien misérables, en fait, deux revolvers tombent en faisant un affreux bruit de ferraille. Ca, c'est strictement verboten.

" Vous êtes bon pour m'accompagner, lui dit un autre homme... "

Ce dernier s'approche du réfugié et se présente.

" Je m'appelle Couvreur. Je viens de me faire prendre avec une cartouche Lebel sur moi... Ils ne rigolent pas avec ça ".

L'homme de Vervins est bousculé, intégré au groupe des otages, qui rentrent à l'Hôtel de Ville. Qui rentrent au bercail.

Les deux possesseurs d'armes et de munitions font connaissance avec le sous-sol de la mairie, dont une partie date du XIVème siècle.

A vrai dire, ils s'en fichent bien. Pour la première fois de leur vie, ils dormiront en prison.

Ils y rejoignent un soldat français réserviste qui avait raté son régiment.

Un homme marche, occupe la bâtisse comme ses hommes occupent la ville. Von Kron, Allemand, commandant, baron, envahisseur.

Il exige des lits, des bœufs, de la paille et du vin rouge. Noël, c'est dans quatre mois. Pas de crèche pour le moment.

La sucrerie des Missions est la première réquisitionnée de la Grande Guerre. Bœufs : moins quatre bêtes. Paille : moins quatre cents bottes. Ouvrez le cahier, et commencez à inscrire, greffier de malheur.

Ce n'est que le début.

La nuit tombée, les lumières s'allument un peu partout dans la ville. Timidement, d'abord, puis de plus en plus franchement. Après tout, personne n'a interdit l'éclairage !

A Sainte-Macre, on a fait de même. Les infirmières avaient raison. Les malades ont commencé à arriver. Un coup à la porte, suivi d'invectives en allemand. Le directeur de l'institution ouvre la porte, calme et pondéré, répondant à la colère teutonne par un sang-froid à toute épreuve. Rapidement, il apprend que le sous-officier lui reproche l'accueil de ses troupes par des coups de feu. Comme si lui, directeur d'un collège, pouvait en être responsable.

" Ici, c'est un immeuble sous le régime de la Croix-Rouge ", répond-il par l'intermédiaire de l'abbé Pheulpin et de l'abbé Schmitz, qui maîtrisent la langue d'outre-Rhin.

" Puisque c'est ainsi, pourquoi ne mettez-vous pas le drapeau de la Croix-Rouge sur la porte ? interroge l'Allemand. "

Le directeur acquiesce. Evidemment, il a raison. Mais les membres de l'organisation internationale avaient certes d'autres préoccupations.

Un peu calmé, le sous-officier, qui avait en fait très faim, se fait nourrir, puis quitte l'établissement peu après.

A quelques centaines de mètres de là, l'école de Fismes, transformée en hôpital principal, est en pleine activité. Contrairement à Sainte-Macre qui est ambulance des malades, l'Ecole Centre est ambulance des blessés.

Sous l'égide du délégué régional de la Croix-Rouge à Reims, Lambert, le comité fismois, qui a pour président le maire, et pour vice-président Barbey, le véritable homme orchestre de l'organisation, a mis sur pieds les deux ambulances pendant les dernières semaines. Les rôles ont été distribués tout militairement.

C'est à mademoiselle d'Avril, infirmière-major, qu'est dévolu le rôle de responsable des blessés. Mesdames et mesdemoiselles Petit, Charlier, Simony, Lécaillon, Léquart, Givelet, Lame, Mopinot et Bénart sont les infirmières attitrées à ce service. Jeunes tendrons pour quelques-unes, ce sera pour elles une véritable épreuve que de venir en aide à ces soldats, Français ou Allemands, qui gémissent tous dans la même langue : celle de la douleur.

Elles mangent dans la grande salle du centre, le préau. Les cris de souffrance ont remplacé les cris de joie des enfants, qui jouaient encore ici quelques jours auparavant.

Elles mangent dans ce préau au milieu des hommes, pour qui la guerre, à peine commencée, est déjà en train de se terminer. Pour certains, c'est une chance. Pour d'autres...

La petite Givelet s'enferme dans ses pensées. Ce matin, la messe... Quelques prières... Ensuite, travail mécanique dans la pharmacie, compter, trier, emballer, préparer... Bientôt, les heures seront des minutes, les minutes des secondes.

Soudain, l'histoire se répète. Il y a peu, Sainte-Macre avait la visite de l'ennemi. Et voilà que la sonnette retentit, dans cette grande salle. Les infirmières se taisent. Les blessés, un instant, dressent l'oreille, cessent presque d'avoir mal.

C'est bien ce à quoi tout le monde pense. Alors que mademoiselle d'Avril ouvre la porte, une voix masculine, puissante, étrangère, prend la situation en main. Mais l'infirmière-major ne s'en laisse pas conter. Sa voix n'est pas masculine, mais elle sait être forte, et même allemande. Elle répond dans la langue de Goethe.

Givelet avance, reconnaît son oncle, le vice-président Barbey qui lui fait un petit signe d'apaisement. Il accompagne les Allemands, en médiateur.

" Ne crains rien, semble-t-il dire "

En attendant, c'est d'Avril qui mène les débats. " Pas question de toucher à nos blessés français ! - Nein, nein ! "

Le but de la visite teutonne est tout autre.

" Ils ont besoin de lits, de serviettes, de matelas, explique Barbey. C'est pour les officiers qui doivent dormir, à l'Hôtel de ville.

- Bien, je vais voir ce que je peux faire, répond l'infirmière-major, apaisée. "

Pendant qu'ils dorment, ils ne nous feront pas de misère, pense-t-elle.

Les blessés se sont remis à gémir.

A Fismette, les Allemands ont les pieds dans l'eau. Ils grognent. Ils n'ont pas fait des centaines de kilomètres pour prendre un bain, même si la rivière est en partie à gué. Alors quand les officiers leur ont ordonné de se mettre dans la Vesle, des murmures se sont fait entendre.

" Il faut le réparer, ce pont, dit l'un des chefs-envahisseurs. Il fallait empêcher le Génie français de le faire sauter, si vous ne vouliez pas vous mouiller les guêtres ! Allez, arbeit ! "

Les chevaux viennent d'amener des poteaux télégraphiques, sciés le long des routes. Le pont de Fismette est d'une importance vitale pour le passage des troupes. Cet ouvrage réparé, c'est toute l'armée allemande qui pourra se déverser sur la Champagne.

Il faut quelques heures pour le rafistoler. Mais ce n'était pas suffisant. Deux autres journées seront nécessaires. Et, fatigués de porter des pieux lourds et encombrants, l'ennemi ne trouvera rien de mieux que de réquisitionner des Fismois pour faire le travail. En même temps, le bois du charpentier Malot, situé près du cimetière, sera pillé pour permettre la réparation.

Cette nuit là, les Fismois dorment peu. Quelques coups de fusils, lointains et assourdis. Des cris, des commandements. Des plaintes. Des bruits de sabots à peine couverts par celui des gamelles qui s'entrechoquent. Puis d'autres plaintes, françaises, celles-là.

Dans le milieu de la nuit, l'Hôtel de Ville accueille quatre cents prisonniers français, épuisés, hagards, encore surpris de n'avoir pas gagner la der des ders en quatre coups de cuillère à pot.

Comme des fourmis suivant une piste marquée à l'avance par des collègues, les Allemands traversent Fismes. Nombreux sont ceux qui ne s'arrêtent pas, ne jurant le faire qu'une fois arrivés dans le Gross Paris. D'autres resteront plusieurs jours. Là, ils ne se comporteront pas en fourmis, mais en nuage de sauterelles, dévastant, pillant. Appliquant la politique de la terre brûlée.

Plus tard, les victimes fismoises, chacune leur tour, se rendront à la mairie pour rendre compte des exactions des Allemands.

Les exemples sont multiples.

Beaucoup de Fismois choisissent la fuite. Le 2 septembre, Jules Terrier, instituteur habitant faubourg de Soissons, impasse du Moulin, quitte sa maison qu'il laisse meublée. Nommé le 15 du même mois à Germigny, il revient à la gendarmerie de Fismes pour déclarer les pertes subies suite à l'occupation allemande :

" Pendule en marbre noir... suspension bronzée avec lampe... assiettes de porcelaine, soupières, verres en cristal taillé...violons... jumelles...bicyclette Clément, bicyclette Gladiator... fourneau à braise... cheminée prussienne...appareil photographique...chemises en flanelle, caleçons, chaussettes, mouchoirs, pèlerine en molleton, chapeau en soie haute forme claque...vins, oeufs en conserve, beurre fondu, légumes, vins, liqueurs... ". Trois pages complètes de petit matériel, volé ou détérioré sont ainsi recensées par l'instituteur.

Militaire en retraite, le capitaine Kieffer, domicilié à Fismes rue Colbert Martin, a repris du service. Il est maintenant commandant d'une section du parc d'artillerie du 6ème corps d'armée. Madame Kieffer l'a suivi dans son parcours. Des amis fismois, dont madame Létilly-Hamar, rue de Saint-Gilles, lui feront un compte-rendu détaillé du pillage de sa maison. L'estimation des pertes du capitaine est de 5500 francs

Et puis, 200 kilos de sel chez Monsieur Dion, Familistère rue Buzard ; 50 kilos de café chez l'épicier Flécheux ; 40 kilos de café grillé chez Madame Barbey.

Et enfin un autre, poignant, émouvant : Madame De Vismes quitte Fismes fin août, après que son mari, gérant de magasin, ait été mobilisé. Il part à Amiens. Elle, se rend à Auneau, dans l'Eure-et-Loir. Enceinte, elle doit accoucher. C'est le 24 septembre qu'une petite fille voit le jour.

Elle écrit aussitôt à Fismes, pour percevoir l'allocation à laquelle elle a droit. La réponse tarde. Elle écrit une seconde, puis une troisième fois. Pas de réponse. En désespoir de cause, elle entreprend le voyage, revient au pays, apprend que les lettres ne sont jamais arrivées.

Le 29 octobre, elle pénètre chez elle. Horrifiée, elle découvre les dégâts commis par l'occupant.

Aussitôt, elle prend la plume, et écrit au ministère de la Guerre, qui enregistre son courrier sous le n° 26.378.

" J'ai trouvé ma maison entièrement pillée par les Allemands. Ils ont enlevé la petite auto de mon mari, sa bicyclette, tous ses vêtements, une grande partie de mon linge et la literie complète. J'ai retrouvé les lits avec simplement les sommiers, la cave vide, l'argenterie partie et tout ce qui les intéressait, même ce qui ne pouvait pas leur servir. Ils ont brisé tout mon intérieur de pendule, ma machine à coudre... Une vie de famille en miettes. "

Le courrier reviendra en mairie, l'administration, vaille que vaille, agira pour que l'argent soit débloqué. Pendant quatre mois, elle n'aura rien eu.

Alors, commence l'attente. L'attente ordinaire d'une femme de soldat ordinaire.

Plus tard, sur le monument au mort, le sculpteur inscrira de nombreux noms.

Parmi ceux-ci, celui de "Elysée de Visme"...

 

3 septembre 1914

 

La mort rôde.

La guerre et les soldats font bon ménage. L'une vit des autres, les autres meurent de l'une. Donnant donnant. Là, toutefois, la mort se fait féroce, car les enfants en sont les premières victimes. Les très petits enfants. A part le soldat du 1er septembre, celui qui est mort à l'institution Sainte-Macre (un dénommé Emilien Fellet, déjà vieux soldat de 36 ans, originaire de Falaise dans le Calvados, rejeton du 3ème escadron du train, 27ème compagnie), les élus de la grande faucheuse du début septembre ne doivent rien à la bataille.

Aujourd'hui, la Pauline Lenfant, qui habite rue du Bassin, donne la nuit à un garçon mort-né. Son père, Paul, vraisemblablement soldat au front, certainement terrassier, n'en saura peut-être jamais rien.

A part les cris feutrés de la jeune femme, cela se passe en silence.

Hier, deux septembre, le décès du petit Alfred Sis, place de la Motte, en plein centre de la ville, est passé à peine moins inaperçu. Ses parents, des réfugiés de Fourmies, ont déposé leur petit bonhomme de trois ans et demi et sont partis, la mort dans l'âme. Ils ne se souviendront de Fismes que comme la dernière demeure du bambin. Pas de quoi faire de bons souvenirs.

Le Major d'Avril est une fois de plus sollicité par un officier allemand. Fatiguée, elle le laisse faire son inspection. Il ne s'agit pour lui que de dénombrer le nombre des malades et des blessés. Accompagné de quelques soldats, il en profite pour confisquer armes et munitions. On peut se préoccuper des blessés tout en assurant ses arrières ! Les tirailleurs algériens sont les plus terrorisés. Les Allemands en effet ne paraissent pas les apprécier. Ils les menacent facilement. Loin de leur pays de soleil, ils ont peur. Mademoiselle d'Avril trouve un arabe qui parle correctement le français. Elle lui charge d'apaiser ses camarades. Un peu rassurés ils se figent dans leur lit, sans bouger.

Chaque soldat couché est apostrophé par l'officier allemand.

" A partir de maintenant, considérez-vous comme notre prisonnier. "

Courtoisement, mais fermement, les Allemands, après avoir pris possession des lieux, prennent possession des gens.

" J'ai encore pas vu un sacré Boche sur le terrain, et me voilà prisonnier, grommelle un français, dépité. "

Le scénario est le même à Sainte-Macre. Dans l'après-midi, des infirmières arrivent en renfort. Elles sont remerciées par Barbey, qui les accueille.

" Vous savez, cher monsieur, nous espérons certes pouvoir être utiles aux gens qui ont besoin de nous, mais nous ne sommes pas là de notre plein gré.

- Ah oui ?

- Nous sommes membres de l'Union des Femmes de France, et nous étions cantonnées près de Vailly-sur-Aisne. Mais l'ennemi était trop proche. Alors, nous nous sommes enfuies, avec quelques blessés légers, en prenant garde surtout d'éviter Fismes, que nous savions perdue. Mais arrivées à Arcis-le-Ponsart, une patrouille allemande nous a interceptées et nous a dirigées ici. "

 

4 septembre 1914

 

L'ambulance des blessés, à nouveau. Un relatif silence s'est installé dans les rues, dans les maisons de Fismes. Pas ici, rue des Ecoles.

Là, une charrette chasse l'autre. Les blessés étaient français jusqu'à ces dernières heures. Les corps teutons, lardés de ferrailles et de haine française arrivent. Ils sont quatre d'abord. Des aviateurs. Puis d'autres suivent.

Mademoiselle Givelet les réceptionne. Plus tard, quand elle se sera reposée, quand elle aura pressé sa cervelle jusqu'à en extraire la dernière parcelle de souvenir, pour se libérer, pour faire maigrir sa mémoire, elle écrira ce qu'elle a vu.

Pour l'heure, elle dénude ces poitrines allemandes, les lave, les panse. Quand ils se taisent, on ne dirait presque pas qu'ils sont ennemis...

Les autres dames en font de même, en infirmières consciencieuses. L'ambulance du groupe scolaire est une usine. Ouvrir la porte, ouvrir les lit ; recoudre, amputer ; dorloter, chanter ; fermer des yeux, fermer la porte. Toujours recommencer et en voir de plus en plus.

La petite Givelet soupire et va dans la cour, pour se reposer un peu, au calme. Pour la centième fois, elle s'imagine les enfants et leurs jeux, elle se nourrit un moment de cette ambiance qui tarde à s'échapper.

Un cri, un nom. Le sien. On l'appelle. Et cet hôpital de fortune qui n'est qu'aux trois quarts plein. Qu'en sera-t-il quand ils seront encore plus nombreux ?

le Docteur Peck habite place de la Motte. Derrière se trouve la place du Soleil d'Or. Un messager arrive, pénètre en trombe chez le docteur, et constate qu'il n'est pas là. Pour cause, il se trouve au côté des infirmières qui ont bien besoin de lui. Le messager court à l'école.

" Vite, vite, crie-t-il. Il y a quarante blessés à Longueval qui vous attendent. Il faut y aller. "

Peck réfléchit à peine quelques secondes.

" Pas le temps, il y a trop de monde ici. Faites les descendre. - Mais comment ?

- Débrouillez-vous, je veux bien les soigner, mais à Fismes. Y aller me ferait perdre trop de temps... Et trop de vies. "

Le soir, l'hôpital de fortune compte quarante blessés de plus.

Léon Parisse, marchand de bière, se présente en mairie. " C'est pour une déclaration, dit-il au secrétaire.

- Une réquisition ?

- Oui, hier, les Allemands m'ont enlevé un camion à deux chevaux à quatre roues et à ridelles "

Peu de temps après, le même Léon Parisse revient en mairie : " Les Allemands sont revenus.

- Oui ?

- Ils m'ont volé un second camion. Sans ridelles "

 

7 septembre 1914

 

Fontaine bougonne. Il est épuisé. Von Kron par-ci, Von Kron par-là. Une véritable balle que se renvoient Français et Allemands, voilà ce qu'il est devenu. Il maudit le jour où il a choisi d'enseigner cette satanée langue. Il se rend une fois de plus à l'Hôtel de Ville, passe quelques instants avec le maire. Va voir Von Kron, lui fait part des récriminations des Fismois.

Le commandant résiste et tempête. Il a demandé trente-cinq tonnes de pain et il les aura. C'est ça où on fusille des otages. Tiens, on a qu'à prendre celui-ci, celui-là, et l'autre, là-bas. En voilà six.

" Schnell, Herr Fontaine. "

Mais Herr Fontaine ne peut pas. Pas trente-cinq tonnes. Les boulangers fismois ne peuvent pas fournir. Déjà qu'il n'y a plus de farine. Même pas de celle qu'ils utilisent depuis longtemps et qui se nomme - comble d'ironie - farine allemande.

Bon. Von Kron comprend, Von Kron acquiesce. Mais pour le tabac, le lard et le café, faites un effort !

L'abbé Schmitz arrive. Lui aussi parle allemand. Il veut bien servir d'interprète. Fontaine soupire. Dormir, peut-être. Mais avant, rencontrer l'un de ses collègues de collège.

" Il faudrait aller voir les réfugiés, lui demande-t-il "

Les réfugiés. Ils sont plus de cinq cents, entassés le long de l'allée des Missions, autour et dans la sucrerie ; à Chézelles ou au Jeu de Paume. Paumés. La plupart arrive de l'Aisne. Des bicyclettes, des chariots, des véhicules automobiles - plus rares - encombrent la ville.

Il fait chaud. La fin de l'été est ainsi. Pleine de bombes et de cris, pleine de Fismois ébahis et d'étrangers anéantis ; pleine de soldats, tantôt allemands, tantôt français (ces derniers sont parqués dans des classes du groupe scolaire ou dans la salle des Sociétés de la mairie, estampillés : prisonniers de guerre).

 

8 septembre 1914

 

" Il va pas crever là, celui-là ! Mais bon Dieu, faites quelque chose... Bon Dieu ! "

Des colonnes de visages anonymes, prisonniers pathétiques, Français sans visage, sans avenir, sans rien. Juste un cri quand l'un d'entre eux tombe.

Un gamin regarde ces colonnes avancer. Parfois, l'uniformité est rompue par une chute. Celui qui tombe a une grosse moustache, un bras en écharpe. Trébuchant, gémissant. Il finit dans la poussière. C'est une brindille que ses congénères ramassent, brancardisent. Quelques mots en germain. Une charrette est réquisitionnée. Tiens, voilà bien un mot qu'il entend mille fois par jour, depuis l'arrivée des anonymes. La charrette se dirige vers le théâtre, rue Lecouvreur. Le groupe scolaire ne suffit plus à soigner les blessés. Il a fallu trouver d'autres lieux.

Désœuvré, le gamin suit la charrette. Même s'il lui arrivait de la perdre dans la cohue, les hurlements du grand moustachu le rappelleraient à l'ordre. Mais il connaît Fismes comme sa poche, le gringalet. Des années qu'il arpente les chemins, les allées, les bois, qu'il visite les bâtiments.

Et soudain, il change de direction. Un chariot plein d'allemands arrive, dans l'autre sens. Il délaisse le théâtre Brocco, se dirige vers le groupe scolaire. Au culot, il y est entré, la veille, se promenant par delà les lits, par delà les souffrances. Mademoiselle d'Avril, l'a fichu dehors, vite fait. Il y avait là des Allemands, des Français. Un lit pour deux, souvent, et parfois même Allemand et Français sur la même paillasse. La grande fraternité de la guerre. Et des Arabes, aussi. C'était la première fois qu'il en voyait, de ces hommes au visage enserpé, tailladé à coup de soleil, brun comme un fond de soupe carottes-pommes de terre. Des Algériens, à ce qu'il paraît.

Le gamin fait demi-tour et suit le chariot. Il emprunte la rue de la Huchette. En passant, il jette un coup d'œil à la mère Morel, qui tient "la Tête Noire", au 18 de la rue. Un adjoint en sort avec un matelas et se dirige vers la mairie. Nos amis les boches ont besoin d'un larbin.

Le jeune garçon accompagne les Allemands râle-et-compagnie à l'école, près des Promenades, regarde la porte s'ouvrir, s'enhardit, s'approche, fait un clin d'œil à l'infirmière qui s'affole de tant de viande à peine coagulée. Et s'aperçoit que le Prussien qui hurle lui hurle après.

" C'est à moi, monsieur, que vous parlez ? "

L'Allemand semble en colère. Le gamin prend alors ses jambes à son cou, remonte la rue Sainte-Macre, et repasse devant la mairie. Elle a deux ans, cette mairie. Elle était bien belle, la cérémonie.

Ces gens en chapeau et costume du dimanche, qui remontaient de la gare, déposés qu'ils étaient par une locomotive rutilante et fumante. Le Constantin, il bichait, ça pour sûr. Mais maintenant, avec ses jambes malades et ces boches plein sa maison, c'est certainement plus pareil.

Il l'aime bien, le maire, le gamin. C'est pas un homme de son monde, bien vrai, mais il l'avait une fois ou deux pincé au gras de la joue en lui disant bonjour. Y'avait des adjoints moins drôles.

Des Allemands discutent sur le haut des marches. Il s'assied sous la tourelle de la maison du coin, regarde ailleurs, regarde en face. Un peu, il sifflerait en dévisageant les nuages, faussement désinvolte. Des Allemands partent, d'autres entrent. Il ne peut pas savoir que le baron Von Kron quitte Fismes, avec ses troupes de commandant d'étapes. Celles ci sont remplacées par un détachement du 65ème régiment de la landwehr. D'ailleurs, il le saurait qu'il s'en moquerait.

Il laisse la mairie et ses envahisseurs. Il parait qu'il y a une foule de prisonniers, à l'intérieur. Il n'a pas envie de les rejoindre.

Il continue sa promenade. N'a que ça à faire.

Il se dirige vers Sainte-Macre, ne s'en approche pas trop. Il y a des malades, là dedans. Peut-être des qui sont contagieux.

Il tourne vers l'allée des Chailleaux.

Il y a là plein d'Allemands. Ils sont partout, ils sont les maîtres. La preuve, ce sont les Français qui déchargent en grognant les lourds obus de 77 qui, rangés quatre par quatre dans des étuis d'osiers, sont entreposés le long d'un mur. Pas très prudent, à quelques dizaines de mètres de l'ambulance Sainte-Macre. Les camions qui se suivent en se ressemblant sont énormes. Il en découvre des choses. La mort et le sang ; les Arabes et les camions ; le monde et l'indifférence ; le bruit qui hurle et le silence qui trompe. Ah oui, le bruit. Voilà une chose sur laquelle il n'avait pas, encore mis le doigt. Mais ces roulements qu'on entend, jour et nuit

ces tambours sous des baguettes "kolossales", c'est bien la guerre.

Il laisse les Français monter leur pyramide de poudre, prend la rue Colbert-Martin et son garage Chevalot, plein à craquer de munitions.

Peut-être va-t-il rentrer chez-lui.

Une mouche lui tourbillonne autour. Il descend vers Fismette. La peinture "Devilliers" s'écaille sur le magasin du peintre. La boulangerie d'en dessous est vide. Réquisitionnée. Mille et une fois.

Finalement, il n'entre pas chez lui (il habite faubourg de Vesle, et la perspective de retrouver sa mère qui pleure son père en bataille sur le front ne l'enchante pas). Il gagne le pont de Fismette retapé vite fait avec le bois de Malot. Du bois ré-qui-si-tion-né. C'était ça où un million de contribution de guerre, alors... Le charpentier se fera payer par la mairie, plus tard, lui a dit sa mère.

Le gamin se promène.

 

10 septembre 1914

 

Aujourd'hui, le gamin ne sortira pas.

Délaissant ses larmes, la mère a crié. Trop dangereux.

Le canon gronde de plus en plus fort, comme un rappel à l'ordre. Le bruit vient d'au-delà de Saint-Gilles. Le ciel se couvre et prend par endroit une méchante teinte rougeâtre. Tout le monde se tait. Même les émigrés se taisent, s'arrangeant parfois pour fuir discrètement. De fait, il y en a de moins en moins.

Par contre, les Allemands sont de plus en plus nombreux. Ils sont accompagnés de leurs canons, qu'ils rapatrient du sud, pour leur faire grimper la côte de Blanzy.

Une étrange jubilation s'empare de certains Fismois. De ceux qui savent. Ou qui croient savoir.

" Ils sont sept mille, dit le maire.

- Sept mille ! siffle Robin, le secrétaire.

- C'est ce qu'on dit, répond le conseiller Debacq. Mais ça m'étonne pas. Il y en a partout. Ils ont peur, ils fuient. Mais ce que je crains, c'est le pillage. Devant cette horde, nous ne résisterons pas. "

Effectivement, les uhlans sont partout, pénètrent partout, raflent tout. Ils ont faim et ne cherchent pas à faire de mal aux habitants. Ils veulent de la nourriture, se servent - quand il y en a - et repartent. Parfois, un coup de baïonnette dans un meuble, un coup de pied dans la porte, une insulte, une colère. C'est la guerre.

 

11 septembre 1914

 

Ca y est, il pleut.

L'eau s'écoule, goutte à goutte sur les capotes, glisse dans le cou. La poussière cesse de voltiger autour des godillots pour les agripper en une boue épaisse. Pourtant, les boches ne semblent pas s'en rendre compte. II y a un peu d'affolement dans leur démarche. Le canon, qui s'était calmé durant la nuit, explose, tout près.

Les montagnes qui entourent Fismes - Mont-Saint-Martin, Perles ou Blanzy - semblent vivantes. Des formes minuscules s'y agitent. De temps à autre un point brillant, qui précède une détonation sèche, montre le bout de son museau. On se bat, là-haut.

Dans le même temps, le commandement allemand vient de déménager. L'infirmière-major lui a remis au passage un chapelet de blessés. Ils ne laissent personne derrière eux, les teutons.

Monsieur Barbey longe les murs. Il est encore dehors, malgré l'heure (il est quatre heures du matin). Soudain, près de la Fontaine Chaudru, Barbey s'arrête. Devant lui, quatre dragons. Pantalons rouges et trognes françaises.

" Messieurs, bien heureux de vous voir, salue le Fismois.

- Mon cheval a perdu un fer, dit l'un d'eux. Il me faut une autre bête tout de suite.

- Venez, je vais vous donner l'un des miens. " Patriote en diable.

Et voilà, Fismes est libérée.

Les uhlans ont décampé. Terminé le cauchemar du maire, finies les brimades, les vexations. Dehors les voleurs de poules. Le cœur battant à tout rompre, le chant au bord des lèvres, un habitant de Fismette, brancardier à la Croix Rouge, est fatigué. Il va rentrer chez lui, s'allonger, et dormir. Au moins un mois entier.

Arrivé au passage à niveau, non loin de la gare, il doit cependant déchanter. Des mètres de barbelés ont été installés en catastrophe. Derrière les barbelés, les Allemands sont toujours là, féroces. Un peu plus loin, il entrevoit une barricade faite de futailles de vins. Il faudra encore les y déloger. Le chant ne franchit pas le seuil de ses lèvres tremblantes.

Le 45ème régiment d'infanterie est sur les hauteurs. Il est sept heures du matin quand des soldats arrivent près de la mairie. Ils installent une mitrailleuse à la porte de Soissons. D'autres gagnent la sucrerie, allée des Missions. Ces derniers abattent un ennemi, qui achève à Fismes son voyage colonisateur.

Complétant l'investissement de la ville, des soldats empruntent le faubourg d'Epernay, la rue Colbert-Martin. Là, ils rencontrent l'appariteur, Badreau, qui les guide dans différents quartiers de la ville. Une section occupe le haut de la rue Brulé-Barbey ; une autre, prenant la rue des Conclusions, descend le raidillon des Fours pour rejoindre la gare... qu'elle devra rapidement quitter, celle-ci étant encore occupée. Une troisième section traverse la rue des Comtes Thibault, manque de faire un carton sur un Fismois curieux qui ouvre ses volets, puis se dissimule près du groupe scolaire.

Dans les heures qui suivent, Villette est investie par des chasseurs français, une barricade est installée à l'entrée du faubourg de Reims. Puis la longue attente avant l'attaque commence. Objectif : la barricade du passage à niveau.

12 septembre 1914

D'un côté, au sud, les batteries françaises s'accrochent aux collines, celles de la Cense, du Mont-Saint-Martin ; de l'autre, au nord, les batteries allemandes s'incrustent sur les hauteurs surplombant la Vesle. Les unes et les autres s'arrosent mutuellement, déversant leur mortelle cargaison. Les Fismois, terrés dans les caves, les oreilles déchirées par les salves, sont au milieu, priant, vitupérant ou serrant simplement les dents, dans l'attente de la fin.

Place de la Motte, des zouaves s'apprêtent à monter au front. Le froid leur glace la moelle. Charitables, quelques Fismois, de ceux qui mettent encore le nez dehors, leur offrent café, vin et pain. La discipline se relâche. Des bousculades s'ébauchent. Qui veut son quignon de pain, qui veut un verre de vin.

Coléreux, un gradé intervient, met de l'ordre dans ce charivari, réprimande les Fismois.

" Il ne faut pas. Laissez les tranquilles. Ils doivent être prêts à partir. "

Pendant ce temps, l'aimable échange de métal mortel continue. Des zouaves sont même blessés. Prudents, les Fismois décrochent.

L'objectif est enfin atteint. Le passage à niveau, situé prés du Familistère, est bientôt libéré. Les combats ont été rudes. Chaque mètre gagné peut être une vie perdue. Toutefois, les Allemands sont repoussés. Progressant de meule de foin en meule de foin, les Français situés allée des Missions rejoignent leurs collègues qui viennent des Promenades. D'autres investissent les jardins alentours, d'autres encore prennent par la gare.

Tous se dirigent vers la chapellerie, cette usine géographiquement stratégique qui se trouve au bord de Vesle.

Deux hommes arrivent au pont en piètre état. Si le pont est passé, le passage est gagné.

Le capitaine de la Rochette et le capitaine de Vergnette courent à perdre haleine, baissés pour donner moins de prise aux balles ennemies. Ils sont sur le pont. Ils vont passer. Ils vont...

Ils sont fauchés, blés murs de la jeunesse.

Risquant également leur vie, des brancardiers arrivent et les emmènent. Direction, l'hôpital de fortune sur lequel règnent toujours le Docteur Peck et l'infirmière major Avril.

 

12 septembre 1914, 9 heures

 

L' infirmière Givelet est à son poste. Elle vit l'un des moments les plus durs de sa carrière. Toute sa vie, elle se souviendra de cette heure, de ce moment où elle a côtoyé l'héroïsme.

Laissons-la parler :

" Je ne puis passer sous silence la mort héroïque du capitaine de Vergnette ; vers 9 heures, on l' amène à l' hôpital, c' est au plus fort de la bataille : une balle dum-dum lui a ouvert l'abdomen et ses entrailles sortent de sa plaie béante ouverte en étoile. Il a compris immédiatement qu'il était perdu, aussi ne veut-il plus s'occuper que de son âme. et avec une résignation admirable, gardant sa connaissance jusqu'à la fin, il fait le sacrifice de sa vie pour la France, pour les siens ; il n'oublie personne et parle avec attendrissement de ses deux enfants. Pas un murmure. il baigne dans son sang, ses traits si énergiques, accentués par la souffrance affreuse et sa faiblesse si grande, sont ceux d'un homme que la vue de la mort ne trouble pas, qui la voit venir avec calme et sait qu'elle sera utile pour la France. Ne faut-il pas que du sang pur coule pour la patrie ? "

A quelques pas de là, son ami Constant de la Rochette se fait soigner. Il est un peu moins touché que son camarade. Sans arrêt, il se revoit, le long de la rambarde droite du pont, à peine protégé puisque touché. Il revoit également Hubert de la Vergnette, fauché tout prêt de la chapellerie et hurlant qu'il veut un prêtre.

Par dizaines, ces scènes de cauchemar se renouvellent, mêlant lieutenants et hommes de troupe, couards et héros, français de souche et français d'un instant.

 

12 septembre 1914, 13 heures

 

Coincés dans la chapellerie, en bordure de Vesle, les Allemands souffrent. A peine leurs pensées volent-elle vers leur femme, leur mère, leurs montagnes, leurs maisons. A peine se posent-ils la question de leur présence ici.

Les obus sifflent, puis tombent. Bientôt, une dizaine, une douzaine touchent les bâtiments industriels construits avec tant de peine, avec tant d'argent.

Les uns courent, les autres crient. Certains tombent.

Des couvertures sorties des paquetages sont déballées. Les Allemands y installent leurs blessés, sortent par le nord, empruntent la passerelle branlante qui saute par-dessus la rivière. Die Vesle. Ils se rappelleront ce nom. Enfin, les survivants se rappelleront... Ils grimpent en courant la côte de Merval, les zouaves collés aux fesses. Des batteries disséminées derrière les maisons les protègent. Ils courent de plus belle. Les zouaves itou. Alors, les Allemands se retournent, lèvent les bras, hurlent leur soumission. Ils se rendent. Confiants, les zouaves - les mêmes qui se gavaient de pain et de vin fismois, place de la Motte - arrivent pour s'emparer de ces trophées vivants. Une salve les fauche. Ils se dispersent comme une volée de moineaux, piégés et meurtris. L'un des zouaves n'a pas le temps de se sauver. Un groupe d'Allemands le capture, lui lie les mains, et le traîne derrière lui.

Le soldat les suit à regret, rechignant à marcher en si mauvaise compagnie. Voyant qu'il les retardera, les Allemands se saisissent de leur baïonnette et le transpercent. C'est un cadavre ligoté que les brancardiers trouveront dans la soirée.

Deux compagnies de la section des mitrailleurs du 1er bataillon du 1er zouave sont nécessaires pour purger la côte de Merval (dite côte 182) des éléments ennemis.

Peu de temps auparavant, à quelques centaines de mètres de là, vers l'ouest, les hommes du capitaine Deveaux du 45ème régiment d'infanterie s'emparent de la ferme Galentin, vers Perles. Le sous-lieutenant Demorieux est tué près d'un abri de jardin.

Adeline Framboisier, née Doyen, ne se trouve pas dans son jardin. Elle est une vieille dame de 73 ans et elle a peur. Elle sait bien que ces jeunes soldats n'ont guère plus de 20 ans et qu'il est terrible de mourir à 20 ans. Mais elle, du haut de ses 73 ans, elle ne veut pas mourir. Elle se cache dans sa maison de la rue du Bassin. Les bruits qu'elle entend sont terrifiants. Des obus, des cris, des balles, des râles. Elle a connu 1870, mais bien sûr, ce n'était pas si terrible. Alors quand elle entend que quelqu'un entre dans sa maison

quand elle sent l'odeur de la poudre qui précède la vue de l'homme - car c'est un homme, inévitablement - elle se précipite dans sa chambre, soulève le matelas, se précipite sur le sommier, et laisse retomber le matelas sur sa vieille personne.

L'homme n'est pas un Allemand. C'est un Français du 45ème. Un Français qui voit un matelas qui bouge.

" Un Prussien ! Ce ne peut-être qu'un Prussien, se dit-il. " Baïonnette en avant, le soldat charge, transperce le matelas. Transperce Adeline, la veuve de Victor Framboisier, née à Braine le 5 mars 1841.

Un drame parmi des dizaines d'autres.

A trois heures, Fismes est entièrement libérée.

La pluie est battante, glaciale. Un vrai temps de Toussaint pour un vrai jour des morts. La fuite des Prussiens laisse le champ libre aux glaneurs de la Croix-Rouge. Une course contre la montre se déclenche. Il s'agit de ramasser les blessés le plus rapidement possible, afin de tenter de les sauver. Dirigés vers le groupe scolaire, l'hospice ou l'ambulance secondaire de Sainte-Macre, ils sont triés, soignés, protégés. Certains en réchappent ; d'autres...

Il n'y a pas que Fismette qui a l'apanage de compter de nombreux morts sur son territoire. Le hameau de Villette n'est plus,

épargné. Retranchés dans l'usine du Roland, les Allemands ont longtemps résisté, avant de se replier sur Baslieux-les-Fismes. Trois chasseurs français ont été tués sur la route de Reims. Un autre est abattu près de la voie du chemin de fer. D'autres meurent dans l'école du hameau, construite en 1909.

Une fosse commune est creusée pour les chasseurs.

La longue litanie des souffrances et des agonies trouve son corollaire dans la liste administrative des décès, recueillie par l'officier d'état civil. En voici quelques fleurs, quelques chrysanthèmes.

Henry Deligny, 23 ans, soldat au 84ème RI, meurt le 4 septembre à l'hôpital auxiliaire du faubourg de Soissons.

Le 12, jour de grande moisson, le caporal Léopold Maurice du 45ème RI meurt également faubourg de Soissons, en même temps que son camarade Désiré Fras.

Un Alsacien, se battant sous les couleurs prussiennes, François Zingraf, mousquetaire au 57éme régiment de l'armée allemande les suit de près.

Alphonse Lamoisson, 33 ans, du 205ème et Pierre Corlay, du 45ème, achèvent la journée de deuil de l'hôpital auxiliaire.

Sur le terrain, c'est pire.

" Au cours de la bataille qui s'est livrée en partie territoire de Fismes lieudits En Belle Vue, la Montagne de Vailly et la Montagne de Glennes et qui a commencé à cinq heures matin pour se terminer territoires voisins à trois heures du soir environ ", les brancardiers relèvent les corps de Louis Halary, 24 ans, zouave ; Eugène Pacaud, 30 ans, 2ème zouaves ; Louis Turché, 27 ans, médaillé du Maroc ; Marcel Loison, 24 ans, sergent de zouaves, médaillé du Maroc ; André Painchaut, zouave ; Jules Pruvost, 29 ans, zouave ; Sylvain Simonnet, 28 ans, 1er zouaves ; matricule 6222, inconnu du 45ème de ligne ; Maxime Truchon, du 45ème, sans autre enseignement qu'une lettre trouvée sur lui et écrite de Pargny-les-Reims le 11 mai 1914 ; Albert Chesquières, sergent de zouaves ; Souris, sergent au 1er zouaves, 41ème compagnie ; Auguste Delvallez, zouave de 3ème classe ; Jules Muirot, 1er zouaves ; Marius Dominoy, 1er zouaves, médaillé de Casablanca ; Hermann Boileux, 11ème zouaves ; Alfred Pin, recruté au Havre ; Boidelique, 1er zouaves ; Alphonse Prévost, zouave de la classe 1906 au recrutement de la Seine ; Alexandre Delaplace, zouave de la classe 1909 au recrutement de Rouen ; Gladel, zouave ; et de deux soldats du 45ème, dramatiquement inconnus.

Pendant quelques jours, les décès s'ajoutent aux décès. Les hôpitaux font ce qu'ils peuvent, mais certains blessés le sont trop cruellement. Les infirmières travaillent dans une atmosphère de tristesse et de désespoir. Des images s'incrustent sur leurs rétines, se gravent pour de longs moments, témoins ces lanternes qui impressionnent l'infirmière Givelet :

" Je vis circuler les infirmiers, leurs grosses lanternes à la main, dans cette ambulance où la mort planait encore. Ah ! ces lanternes, elles me firent singulière impression, petites lumières qui devaient éclairer de tristes agonies ! "

Et Fismes, peu à peu, réapprend à revivre sans les Allemands... Mais les convois français prennent la place. La cité devient ville de garnison.

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