LE POINT DE VUE DU GENERAL TAPPEN

Le Lieutenant-Colonel Koeltz a traduit plusieurs ouvrages allemands après la grande guerre, dont deux traductions sont présentées sur ce site : celle de Tappen et celle de Müller-Loebnitz

Dans son introduction, lisible sur notre site, le Lieutenant-Colonel Koeltz pose très clairement la problématique des responsabilités de cette victoire potentielle qui se transforme en grave revers.

 

ABRÉVIATIONS UTILISÉES

 

G. Q. G. : grand quartier général.

Q. G. A. 2 : quartier général de la 2e armée.

C. A. : corps d'armée actif.

C. R. ou C. A. R. : corps d'armée de réserve.

G. : corps d'armée actif de la garde,

G. R. corps d'armée de réserve de la garde.

C. C. corps de cavalerie.

D. I. division d'infanterie (active).

D. I. R. : division d'infanterie de réserve.

D. C. : division de cavalerie.

D. I. G. : division d'infanterie de la garde.

D. I. R. G. - division d'infanterie de réserve de la garde.

JUSQU'À LÀ MARNE EN 1914

 

Il est intéressant de noter que le Général TAPPEN ne nomme jamais le Lieutenant-Colonel von Hentsch, il le désigne comme :"l'officier qui avait été envoyé en mission auprès des commandements d'armées", il semble le considérer comme le grand responsable de la retraite de la 1re armée.

Contributions à l'étude de la conduite des opérations jusqu'à l'issue de la bataille de la Marne par le Général TAPPEN

Général de division en retraite, de la déclaration de guerre à l'automne 1916 chef de la section des opérations à l'état-major du chef d'état-major général de l'armée de campagne.

 

I - PLAN D OPÉRATIONS. TRAVAUX PREPARATOIRES DE MOBILISATION ET DE CONCENTRATION

 

La question de la conduite des opérations au cours d'une guerre sur deux fronts, c'est-à-dire au cours d'une guerre où l'Allemagne aurait à lutter simultanément à l'Ouest et à l'Est, avait déjà été étudiée par le général-feldmaréchal comte de Moltke des le lendemain de la guerre de 1870-1871. Il était d'avis, ainsi que son successeur le comte de Waldersee, que cette guerre devait être conduite défensivement à l'Ouest et offensivement à l'Est. Le colonel-général comte von Schlieffen fut le premier à signaler que l'adversaire le plus dangereux pour l'Allemagne était encore la France et que pour cette raison cette puissance devait être terrassée la première en prenant l'offensive contre elle, même s'il fallait de ce fait perdre tout d'abord une partie des territoires allemands de l'Est : on chercherait à les reconquérir par la suite aussitôt qu'on aurait obtenu une victoire décisive sur le front ouest. C'est également le colonel-général comte von Schlieffen qui, en continuant à développer son idée d'offensive, conçut le plan de déborder les puissantes fortifications du front oriental français et pour cela de traverser la Belgique et le Luxembourg, mesure entièrement justifiée et nécessaire au point de vue militaire puisque la lutte où ce plan devait entrer en application ne pouvait être qu'une lutte pour la défense et l'existence de l'Allemagne.

Ce plan qui consistait, au cas où l'Allemagne sera attaquée, à terrasser tout d'abord nos ennemis les plus dangereux de l'Ouest, ennemis au nombre desquels fallut compter aussi par la suite l'Angleterre, a été conservé par le successeur du comte Schlieffen. Il trouve sa justification incontestée dans le fait que nos adversaires occidentaux étaient obligés de chercher une décision à bref délai. Ils ne pouvaient pas en effet avec leurs masses armées se replier comme cela leur plaisait tandis que la Russie, elle, avec ses vastes territoires, était libre de se dérober à une décision en se repliant au loin qu'elle le voudrait devant la masse principale forces allemandes. Elle pouvait ainsi, et c'était son avantage, faire traîner la guerre en longueur pour permettre à la France et à l'Angleterre de tomber avec leur énorme supériorité numérique sur les faibles forces défensives allemandes laissées sur le front ouest et de porter la guerre en Allemagne. Il était clair en effet qu'on ne pouvait pas tout simplement diviser en deux les forces allemandes déjà inférieures en nombre pour 1es employer moitié à l'Ouest, moitié à l'Est : on n'aurait eu ainsi sur aucun théâtre d'opérations la possibilité d'obtenir une décision favorable à nos armes. Il fallait engager la masse principale de nos forces contre celui de nos adversaires auquel on voulait arracher rapidement la décision : or, d'après ce qui précède, cet adversaire ne pouvait être que notre ennemi de l'Ouest.

Le colonel-général de Moltke, qui succéda au comte Schlieffen à la tête du Grand État-major, s'est efforcé sans arrêt de compenser dans toute la mesure du possible la situation défavorable que l'inégalité des effectifs devait entraîner pour l'Allemagne en cas de guerre sur deux fronts.

A l'occasion des conférences relatives aux " préparation de mobilisation économique " de l'Allemagne, conférences qui eurent lieu au cours de l'hiver 1912-1913, à l'époque que où la situation politique devenait tendue, les représentants du chef d'état-major de l'armée demandèrent qu'il fût constitué de grands dépôts de blé pour assurer la nourriture du peuple allemand en cas de guerre. Mais il n'y eut pas d'argent pour satisfaire cette demande.

Devant les armements continus de la France et de la Russie, le chef d'état-major de l'armée rédigea un volumineux mémoire sur le rapport des forces en présence et sur la nécessité qui en résultait de renforcer l'armée allemande; ce mémoire fut adressé aux autorités compétentes. Or, comme on le sait, ces demandes ne reçurent pas, elles non plus, entière satisfaction de la part des organes détenteurs de la décision. Ainsi que le cours guerre l'a montré, le corps d'armée qui ne nous a été accordé à ce moment-là nous a fait souvent défaut dans des situations importantes et décisives. La cause essentielle du rejet d'une partie des demandes du colonel-général de Moltke fut à nouveau la question financière. Je me souviens qu'à l'occasion des discussions qui eurent lieu à cette époque sur le projet de budget de l'armée, quelqu'un laissa tomber les paroles suivantes : " Si l'état-major maintient de pareilles demandes nous irons à la banqueroute d'État on à la révolution on. " Or il s'agissait en l'occurrence d'un crédit d'un milliard de marks environ !

En ce qui concerne l'alliance avec l'Italie le colonel-généra1 de Moltke chercha à la renforcer par tous les moyens. Le transport en Allemagne du Sud d'une partie importante de l'armée italienne, en empruntant les ferrées traversant l'Autriche et en contournant la Suisse, avait déjà été envisagé antérieurement; mais l'Italie ayant déclaré en 1913 que pour des raisons de politique intérieure elle ne pouvait plus tenir cette promesse, on parvint au cours de l'automne suivant à rétablir cet engagement lors d'une conférence tenue à Rome, quoique le nombre des unités italiennes à diriger vers l'Allemagne du Sud fût bien moins important que précédemment. Des négociations détaillées eurent lieu en décembre 1913 à Vienne et en mars 1914 à Berlin pour arrêter définitivement ces transports de troupe pour le cas d'une mobilisation; elles se terminèrent le 10 mars 1914 par une convention liant formellement les deux parties. Tels étaient en apparence au printemps 1914 nos rapports avec l'Italie. Bien que dans nos travaux préparatoires de concentration nous ne comptions pas d'une façon absolument ferme sur l'arrivée d troupes italiennes, on ne pouvait guère douter cependant, au printemps 1914, de la sincérité des promesses de l'Italie.

Des échanges d'idées eurent lien également à plusieurs reprises entre le chef d'état-major général austro-hongrois et le colonel-général de Moltke sur la façon conduire les opérations sur le front est. Du côté allemand on ne devait employer contre la Russie, conformément au plan envisageant le cas d'une guerre sur deux fronts, que les forces tenues pour absolument indispensables à savoir le Ier C. A., le Ier C. R XVIIe et XXe C. A., la 3e D. R. et la Ire D. C. ainsi que des formations de landwehr, de landsturm et d'ersatz. Malgré leur petit nombre ces forces qui constituaient la 8e armée devaient être employées, elles aussi, autant que possible offensivement en liaison avec l'armée austro-hongroise. Etendant cette idée d'offensive, le chef d'état-major austro-hongrois insista pour que les troupes allemandes de l'Est fussent renforcées le plus tôt possible après le déclenchement des hostilités : il chercha dans ce but à obtenir des promesses fermes quant à la date et la zone de leur engagement, bien que ces promesses ne pussent reposer que sur une hypothèse, celle du moment où une victoire décisive allemande serait remportée sur le front occidental.

On avait déjà l'impression à cette époque-là la que la capacité offensive de l'Autriche-Hongrie n'était pas considérable. Cependant, comme on ne pouvait plus, côté allemand, affecter de nouvelles troupes de campagne au front oriental, le commandement allemand prit des mesures pour former en cas de guerre, en Haute-Silésie et Posnanie, avec des troupes de landwehr et d'ersatz, un corps de landwehr qui, en se portant vers l'Est et en pénétrant en Russie, à l'aile gauche de l'armée austro-hongroise, devait en quelque sorte lui donner l'impulsion du mouvement en avant. Ces formations de landwehr et d'ersatz étaient d'ailleurs appelées à constituer la protection la plus sûre de leurs provinces d'origine. On sait de quelle façon brillante le corps de landwehr a rempli cette missions.

Toutes les autres forces allemandes en dehors de la 8e armée, du corps de landwehr et du IXe C. R., qui devait rester initialement en Schleswig-Holstein, étaient destinées à être employées sur le front occidental et devaient être groupées en sept armées. Tandis que l'aile gauche de ces forces (6e et 7e armées), opérant en Alsace-Lorraine, devait être faiblement constituée et avoir pour mission de repousser ou d'accrocher des forces ennemies, leur masse principale - armées 1 à 5 - devait se concentrer la gauche à Metz-Thionville, la droite à Aix-la-Chapelle, pour exécuter ensuite, en partant de cette base, une conversion à gauche autour de, Metz-Thionville comme pivot. L'extrême droite de cette masse devait dans ce but être maintenue particulièrement puissante, car il était à prévoir qu'au cours de son mouvement elle aurait à fournir de nombreux détachements, par exemple pour paralyser les places ennemie et assurer la couverture du flanc droit. Tandis que les premiers plans du colonel-général comte von Schlieffen prévoyaient encore en gros que l'aile droite des force allemandes longerait la rive sud de la Meuse, on en vint peu à peu, en développant de plus en plus son idée, à fixer pour l'année de mobilisation 1914-1915 que douze corps d'armée, constituant les 1re et 2e armées, traverseraient seraient la Belgique en passant au nord de la Meuse. C'était là le maximum de forces qui, d'après des calculs détaillés, pouvaient être employés dans cette région.

Le colonel-général de Moltke voulant éviter, quoi qu'il advînt, tout contact avec le territoire hollandais et même, avec le saillant de Maastricht, la condition préalable du mouvement au nord de la Meuse était de s'emparer du camp retranché de Liège. Or pour être exécutée sous forme d'un coup de main cette opération exigeait des préparatifs minutieux. Mais même après la chute de la place, la poussée des douze corps au nord de la Meuse, en contournant le saillant de Maastricht par le sud, était appelée à se heurter à de grosses difficultés, en raison du petit nombre de routes disponibles.

Grâce aux mesures prises cette opération put être exécutée, elle aussi, sans friction, en août 1914, par les troupes. Parmi les autres préparatifs que nécessitaient la traversée de la Belgique par douze corps d'armée marchant au nord de la Meuse, on ne peut pas passer sous silence ceux qui concernaient le ravitaillement de telles masses d'hommes. Nous comptions, comme cela s'est d'ailleurs effectivement produit en 1914, qu'en cas de guerre toutes les voies ferrées belges seraient complètement détruites et que de ce fait elles seraient inutilisables pour nous pendant des semaines, Aussi toutes les colonnes de camions automobiles disponibles furent-elles affectées aux armées d'aile droite pour assurer leur ravitaillement. Il résulte aussi de ce qui précède que, quelque désirable que fût en soi un nouveau renforcement de l'aile droite, ce renforcement trouvait finalement ses limites dans des raisons purement techniques. Or lors de l'établissement de nos mesures préparatoires de mobilisation pour l'année 1915, mesures qui furent effectivement appliquées au début de la guerre, on avait constaté, ainsi que nous l'avons déjà dit, que nous étions arrivés à la limite du possible en ce qui concerne l'évaluation des forces à affecter à l'aile droite de l'armée. Le IXe C. R., maintenu initialement en Schleswig-Holstein, pouvait d'ailleurs être employé, suivant les circonstances, comme réserve de la Direction suprême et il était naturel, d'après ce qui précède, de l'utiliser à l'aile droite des armées de l'Ouest au cours du développement de la manœuvre.

Le dressage de notre état-major était aussi une mesure préparatoire importante destinée à compenser par la valeur l'infériorité numérique de notre armée au cours d'une guerre future. On a beaucoup travaillé dans ce but. Les officiers d'état-major les plus anciens étaient entièrement familiarisés par des voyages, des exercices sur la carte et des thèmes tactiques et stratégiques, avec la façon de conduire une guerre éventuelle. Au cours de ces travaux la protection de nos provinces orientales était traitée avec une fréquence toute particulière. Un thème souvent étudié en cette occurrence était l'importance que la ligne des Lacs Mazures et ses organisations fortifiées étaient appelées à avoir comme couverture de flanc et comme zone d'opérations propre à des entreprises sur lignes intérieures, à des actions offensives victorieuses, que ce fût pour se porter tout d'abord, en contournant les lacs par le nord, contre l'armée russe du Niémen et se jeter ensuite dans la direction du sud contre les corps russes venant de la Narew ou réciproquement, ou bien pour exécuter des attaques débouchant de la ligne des lacs.

Lors des exercices sur la carte et des voyages d'état-major qui avaient pour objet l'étude de la grande guerre sur le front occidental, les opérations étaient arrêtées en général après la première rencontre avec les armées adverses. La volonté d'anéantir l'ennemi s'y manifestait sans cesse par une manœuvre visant à saisir le flanc ou les derrières des armées ennemies ou tout au moins d'une partie de ces armées et, si possible, à les encercler. Le colonel-général de Moltke était enclin à croire qu'après une telle rencontre des deux armées adverses la décision de la guerre serait obtenue en soi et que le parti vaincu pourrait alors être tenu complètement en échec avec de faibles forces, c'est-à-dire que, si nous étions vainqueurs, le moment serait venu pour nous d'envoyer des forces plus importantes sur le front oriental pour y rechercher aussi la décision à notre profit. L'idée que par suite de sa loi de recrutement et de son manque d'hommes la France serait obligée de mettre en ligne dès le début jusqu'à son dernier homme et qu'après une défaite elle ne serait plus en état de recompléter ses unités, entrait pour une part dans cette conception.

 

II - MOBILISATION ET CONCENTRATION

 

Les événements qui conduisirent à la guerre prirent rapidement le cours décisif que l'on connaît. Le 23 juillet, l'Autriche adressa à la Serbie un ultimatum de 48 heures le 25 juillet, la Serbie comptant sur l'appui de la Russie, rejeta cet ultimatum; le 28, l'Autriche déclara guerre à la Serbie.

Les mesures de mobilisation de la Russie devenant de plus en plus évidentes, ordre fut donné chez nous, le 27 juillet de ramener dans leurs garnisons toutes les troupes qui effectuaient leurs manœuvres d'été dans les camps afin de les avoir prêtes pour une mobilisation éventuelle. Le 29, la garde de tous les ouvrages importants au point de vue militaire, tels que ponts de voies ferrées et de routes, tunnels, canaux, etc. .... garde prévue par les travaux préparatoires de mobilisation, fut ordonnée afin que ces ouvrages ne fussent pas exposés à être détruits par des agents ennemis. Le 31 juillet, de danger de guerre menaçant fut proclamé et permit de mettre notre armée en état d'alerte renforcée, le 1er août après-midi, la mobilisation fut décrétée. Toutes ces mesures furent ordonnées le plus tardivement possible, malgré l'extrême tension de la situation, pour ne pas provoquer d'émotions inutiles et pour montrer notre amour de la paix. Les retarder davantage nous aurait exposés à des désavantages incalculables en face des armements de nos ennemis. Mais d'un autre côté, le déclenchement de la mobilisation nous évitait aussi d'être surpris sans défense. Dans nos travaux de mobilisation et de concentration on trouvait toujours en effet à l'endroit voulu l'indication : " Après la déclaration guerre ou le commencement des hostilités... " il faut faire telle ou telle chose.

On tenait ainsi précisément compte du fait que nos ennemis pouvaient éventuellement commencer la guerre sans déclaration, en particulier parce que nous savions que les troupes de couverture russes avaient l'ordre de franchir notre frontière dès la proclamation de la mobilisation et non pas seulement après une déclaration de guerre. L'état-major n'avait donc en aucune façon intérêt à ce que la proclamation de la mobilisation fût suivie le plus tôt possible d'une déclaration de guerre pour éclaircir la situation. Les préparatifs de mobilisation et de concentration étaient réglés de telle façon qu'ils pouvaient, une fois la mobilisation décrétée, faire passer sans plus à la guerre si les hostilités étaient ouvertes même sans déclaration de guerre. Il était en outre prévu dans nos travaux préparatoires de mobilisation et de concentration que le renforcement de la couverture de la frontière aurait lieu dès la proclamation de la mobilisation. On était en effet particulièrement préoccupé par l'idée que la France pourrait envahir de bonne heure la Lorraine elle aurait été parfaitement en état de le faire du fait qu'elle avait introduit, peu de temps avant la guerre le service de trois ans et qu'elle avait dès le temps paix à la frontière, de fortes unités presque sur le pied de guerre.

En ce qui nous concerne, ce ne fut qu'à partir du 3e jour de la mobilisation, donc du 4 août, purent arriver à la frontière, pour renforcer la couverture jusqu'alors assurée par les seuls corps frontière, les brigades mixtes à mobilisation accélérée prévues dans les préparatifs du temps de paix, à raison d'une brigade par corps d'armée appelé à se concentrer en Lorraine. Lorsqu'il nous fut annoncé que dans la nuit 4 au 5 août aucune entreprise ennemie n'avait encore eu lieu, nous pûmes alors compter que désormais nous aurions suffisamment de troupes sur tous les points de la frontière pour assurer notre concentration et qu'ainsi il ne serait pas nécessaire d'y apporter la moindre modification.

Mobilisation et concentration furent donc exécutées conformément aux préparatifs du temps de paix. La meilleure preuve du soin avec lequel tous nos organes avaient travaillé aux travaux préparatoires nous est fournie par le fait que pendant toute la mobilisation toute la concentration, donc jusqu'au milieu d'août environ, pas une seule question révélant une inexactitude ou un manque de clarté dans les directives de concentration ne fut adressée aux organes centraux. Les directives de concentration contenaient tout ce que l'autorité intéressée avait besoin de savoir pour l'exécution de la concentration et pour les premiers mouvements à effectuer jusqu'à une rencontre vraisemblable avec l'ennemi, à savoir : un exposé général condensé des intention de la Direction suprême, la mission que l'autorité intéressée avait à remplir dans le cadre de l'ensemble des opérations, enfin la façon dont cette exécution était conçue.

Entre temps, les premières journées d'août avaient vu se dérouler les négociations avec la Belgique et l'Angleterre, l'état de guerre avec la France, notre marche d'Aix-la-Chapelle, Eupen et Malmédy vers la Belgique, puis l'état de guerre avec l'Angleterre. Le 6 août, l'attaque brusquée de Liège fut déclenchée : elle atteignit complètement son but : ouvrir la voie au mouvement de notre aile droite, mais elle ne s'effectua pas cependant sans heurt, malgré tous les préparatifs qui avaient été faits Maint désordre survint et nos troupes se tirèrent même les unes sur les autres, sans doute parce que la troupe n'avait pas vraiment confiance dans la possibilité d'exécuter le coup de main monté par l'état-major contre une place moderne. A partir du 6e jour de la mobilisation, donc du 7 août, le grand mouvement de l'armée allemande, c'est-à-dire le transport des troupes par voies ferrées dans les zones frontières qui leur étaient assignées par les directives de concentration, fut déclenché. Les exigences inouïes qui furent imposées en cette circonstance à notre réseau ferré furent surmontées sans à-coups grâce au travail préparatoire minutieux et consciencieux qui avait été effectué par la section des chemins de fer du Grand État-major.

Pendant la concentration notre couverture renforcée fut soumise à de sérieuses épreuves quant à sa solidité le 7e corps français et la garnison de Belfort, partant de cette place, envahirent la Haute-Alsace dans la région Mulhouse-Cernay. Le 10 août, les forces françaises furent battues par des fractions de nos XIVe et XVe C. A. et refoulées vers le sud. Les Français se dérobèrent à l'enveloppement que nous avion projeté en battant rapidement en retraite en temps opportun. Le 11 août, notre 42e division d'infanterie et la division de cavalerie bavaroise eurent une rencontre à Lagarde avec une brigade mixte du 15 e corps français; dans ce combat nos troupes firent 1.000 prisonniers non blessés et capturèrent leur premier drapeau français et deux batteries.

La concentration terminée, le G. Q. G. fut transféré à Coblence. Le départ de Berlin eut lieu le 16 août, arrivée à Coblence le 17 au matin.

 

III - LES ÉVÉNEMENTS JUSQU'A LA BATAILLE DE LA MARNE

 

Nos adversaires n'ayant pris avant le 17 août aucune mesure susceptible de contrecarrer nos intentions, ordre fut donné ce jour-là, une fois la concentration terminée, de déclencher le mouvement en avant général de nos armées conformément aux directives de concentration. En vertu de cet ordre, le grand mouvement offensif de la masse principale de notre armée vers la France, à travers la Belgique, devait commencer le 18 août pour battre l'armée franco-anglaise là où on la rencontrerait et terminer ainsi le plus tôt possible la guerre sur le front Ouest en vue d'obtenir toute liberté d'action dans l'Est. Les renseignements recueillis sur l'ennemi étaient souvent, comme c'est naturel, contradictoires et peu clairs. Ils permettaient toutefois d'admettre que les Français n'avaient pas encore transporté de forces importantes à leur aile gauche. Il parut même, après notre coup de main de Liège, qu'un certain va et vient, sans but défini, était commencé dans les déplacements des troupes françaises.

A partir du milieu d'août les renseignements reçus sur les rassemblements français rendirent une offensive ennemie entre Metz et les Vosges si vraisemblable que les divisions mobiles d'ersatz, qui venaient d'être formées pendant la mobilisation et qui n'avaient pas participé au mouvement général de concentration, furent dirigées en toute éventualité sur Sarrebruck et Strasbourg. On examina aussi à ce moment-là au G. Q. G. s'il ne serait pas opportun de laisser les Français se précipiter dans une nasse qu'on leur tendrait en gros entre Metz, la Sarre et les Vosges, pour leur tomber dessus en prenant l'offensive et exécuter ainsi une manœuvre du genre de celles que l'on avait montées en temps de paix au cours de certains exercices sur la carte et voyages d'état-major.

Mais pour cela il aurait été nécessaire de replier en combattant les éléments de la 6e armée qui se trouvaient déjà à la frontière et de faire converser la 5e armée à gauche autour de Metz comme pivot. Cette dernière mesure aurait ouvert une large brèche entre les 4e et 5e armées. Or si les Français n'exécutaient pas l'offensive escomptée par nous et ne poussaient pas profondément entre Metz et les Vosges, si donc ils ne tombaient pas dans la nasse qui leur était tendue, mais pénétraient avec des forces récupérées dans la brèche créée entre les 4e et 5e armées dès qu'il se seraient aperçus de son existence, il pouvait en résulter une défaite pour notre aile droite. En tout cas notre grand plan d'opérations initial serait devenu caduc. Les Français avaient à leur disposition d'excellentes communications par voie ferrée et par voie de terre pour déplacer rapidement leurs troupes. Les nombreuses attaques qui se produisirent au point sensible de notre front, à la charnière au nord-ouest de Metz, nous montrèrent que le Commandement français avait rapidement reconnu l'importance de ce point. Enfin le commandant de la 6 e armée, à qui le commandement de la 7e armée située plus au sud avait été aussi confié, fit également connaître que ses unités attendaient impatiemment l'ordre d'attaquer, qu'il était difficile de les retenir et qu'en tous cas il serait mal aisé de " se replier en combattant " avec des troupes qui tiraient sur la bride pour aller de l'avant.

Il était également peu désirable d'abandonner, dès le début de la guerre, une partie du territoire lorrain, ne fût-ce que temporairement si la situation ne l'exigeait pas absolument. Aussi fut-il ordonné aux 6e et 7e armées d'attaquer avec les forces qui se trouvaient à leur disposition dans l'intention déjà exprimée dans les directives de concentration et conforme à l'idée du grand plan d'opérations, à savoir accrocher dans cette région la masse principale des forces françaises, si elles s'y étaient concentrées en vue de prendre l'offensive, et faciliter ainsi la mission de l'aile marchante de nos armées ou bien arrêterait-on en gros leur mouvement. Du 20 au 23 août, les 6e et 7e armées remportèrent en Lorraine une grande victoire; la " bataille de Lorraine " se termina à notre avantage.

La Direction suprême eut alors à décider comment les résultats de cette victoire devaient être exploités. Continuerait-on à poursuivre l'ennemi avec les 6e et 7e armées (Cette intention a complètement atteint son but) pour porter ultérieurement à l'aile droite les forces ainsi rendues disponibles ?

A ce moment-là l'aile droite de nos armées était en pleine avance victorieuse. Plus à gauche, les 4e et 5e armées venaient d'annoncer, elles aussi, de grands succès. Il était d'autre part impossible d'exécuter des transports de l'aile gauche à l'aile droite, car les Belges avaient détruit complètement leurs voies ferrées, ainsi que nous nous y attendions, et les tronçons de lignes provisoirement remis en état étaient utilisés pour amener à l'aile droite le IXe C. R. Si on avait prélevé à ce moment-là des troupes sur les 6e et 7e armées pour les amener par étapes à l'aile droite, elles auraient été paralysées pendant longtemps sans parler des difficultés de ravitaillement auxquelles on se serait heurté et elles seraient arrivées vraisemblablement trop tard pour prendre part au combat décisif de l'aile droite auquel il fallait bientôt s'attendre. Si par contre les troupes victorieuses des 6e et 7e armées, talonnant l'ennemi battu, parvenaient à percer la ligne fortifiée de la Haute Moselle, ce qui n'était pas invraisemblable étant donné qu'après la chute rapide des forts de Liège l'importance des places de barrage avait fort perdu de son prestige, on amorçait ainsi, conjointement avec le mouvement de l'aile droite, un encerclement de grand style des armées ennemies qui, d'après les idées alors en cours, devait amener à bref délai, en cas de réussite, la fin de la guerre.

Il fut en conséquence décidé, en raison de la situation favorable - victoire de Lorraine - mais aussi sous la pression des circonstances (manque de liaison par voie ferrée avec l'aile droite), d'amplifier le plan d'opérations initial tout en le maintenant intégralement, en ce sens que l'offensive et tout d'abord la poursuite des et 7e armées devait être continuée pour provoquer si possible un encerclement de grande ampleur.

Le plan qui consistait à percer la ligne fortifiée de Haute Moselle ne réussit pas du premier coup par suite des difficultés de terrain : aussi la question angoissante de l'emploi ultérieur des 6e et 7e armées se posa-t-elle à nouveau. Fallait-il les replier sur une position défensive favorable pour se créer ainsi des disponibilités ou bien fallait-il continuer à essayer de percer la ligne d'arrêt française, tentative dont le profit était appelé à être très grand par la suite ? Des discussions approfondies sur le pour et le contre de cette opération eurent lieu avec le commandement de la 6e armée. L'espoir que l'on réussirait encore à percer ou tout au moins à accro cher par de nouvelles attaques une grande partie de l'armée française, au grand avantage de notre aile droite, fit pencher le plateau de la balance.

Ce ne fut que le 4 septembre, donc peu de temps après la bataille de la Marne, - quand de nouveaux résultats ayant fait défaut on ne fut plus en droit de compter retenir par de nouvelles attaques de grosses forces françaises derrière leur ligne fortifiée et quand communications par voie ferrée avec l'aile droite furent améliorées - que l'on décida de retirer du front et de transporter à l'aile droite l'état-major de la 7e armée, la 7e D. C., le XVe C. A. et un corps de la 6e armée en les dirigeant tout d'abord sur la Belgique. L'ordre consacrant cette décision fut donné le 5 septembre. On avait aussi songé auparavant, c'est-à-dire dans les derniers jours d'août, alors qu'il était encore impossible de transporter des forces considérables à l'aile droite, à percer la ligne des forts au sud de Verdun et à diriger dans cette région des unités des 6e et 7e armées pour poursuivre l'idée d'encerclement. Mais ce projet fut abandonné en raison des difficultés considérables qui s'opposèrent à sa réalisation.

En Prusse orientale les événements s'étaient développés moins développés moins favorablement. Les Russes s'étaient comportés en sauvages là où ils avaient passé la frontière. Le commandement de la 8e armée avait bien annoncé, le 18 août, qu'il avait l'intention d'attaquer avec son armée, puis, le 20, que le Ier corps avait remporté une victoire. Mais il avait exprimé néanmoins, le 21, l'intention non seulement de se replier en combattant, mais encore de battre en retraite et il avait déjà donné des ordres dans ce sens. Ces mesures étant entièrement contraires aux intentions de la Direction suprême, un changement fut apporté au commandement de la 8e armée. La situation dans l'Est était devenue critique par suite des mouvements de retraite qui étaient déjà commences. Ces mouvements furent arrêtés, dans la mesure du possible, par des ordres expédiés directement du G. Q. G. en vue de concentrer la 8e armée pour reprendre l'offensive.

Devant la situation difficile dans laquelle se trouvait la Prusse orientale on avait déjà exprimé au G. Q. G. le désir de transporter dans l'Est le IXe C. R. qui avait été laissé provisoirement dans le Schleswig. Ce désir ne put être satisfait. L'aile droite de nos armées de l'Ouest avait bien pu progresser victorieusement et sans arrêt, du fait que des forces françaises importantes avaient été accrochées par les 6e et 7e armées en Lorraine, mais ses forces étaient appelées à fondre au cours de la continuation de son mouvement du fait des détachements qu'elle devrait faire pour se couvrir contre les places ennemies qui n'étaient pas encore réduites. C'est pourquoi. le chef de la section des opérations avait déjà proposé de très bonne heure, avant même que les lieu et date de l'entrée en ligne de l'armée anglaise ne fussent connus, de rameuter le IXe C. R. sur le front ouest à l'aile droite des armées, comme il était logique de le faire d'après le plan général d'opérations. Nous comptions en effet que les Anglais apparaîtraient vers Lille et qu'ils seraient peut-être appuyés par des troupes françaises. Il nous fallait donc, en vue de cette hypothèse qui n'était pas invraisemblable, amener à notre aile droite toutes les forces disponibles et transportables si on voulait que la décision fût obtenue rapidement comme il était prévu. C'était d'ailleurs aussi la meilleure façon de secourir la Prusse orientale que de lui envoyer, après avoir remporté une bataille rapide et décisive à l'Ouest, non pas un corps d'armée mais une armée. En raison de ces considérations le chef d'état-major général de l'armée se prononça, lui aussi, pour le rameutement du IXe C. R. sur le front ouest, à l'aile droite de l'armée.

Le 24 août, devant la situation favorable du front occidental, des voix se firent entendre à nouveau au G. Q. G. pour regretter que le IXe C. R. eût été transporté sur le front ouest et non sur le front est. Mais le nouveau commandement de la 8e armée fit savoir, dès le 26, qu'il espérait obtenir une victoire sur cinq corps d'armée russes qui venaient de la Narew. Or sur le front oriental les décisions du commandement et leur exécution étaient extrêmement facilitées du fait que tous les radios russes captés étaient déchiffrés en très peu de temps grâce à l'extrême simplicité de leur procédé de chiffrement. Comme les Russes faisaient un emploi intensif des transmissions radiotélégraphiques, on était donc instruit jusque dans le détail et d'une façon permanente sur les mouvements de troupes qu'ils projetaient et l'on pouvait prendre de ce fait des mesures appropriées. Il résulte de ce qui précède que le compte rendu du commandement de la 8e armée sur la victoire qu'il espérait obtenir devait être compris en ce sens que le G. Q. G. pouvait déjà compter sur elle avec certitude. Nous reçûmes en effet, dès le 27 août, les premiers renseignements annonçant de grands succès dans l'Est; ces renseignements, qui devaient trouver plus tard leur expression éloquente dans les brillants comptes rendus de victoire sur la " Bataille de Tannenberg " nous délivrèrent du lourd souci que nous éprouvions pour le front est.

Sur le front occidental le grand mouvement en avant des armées commencé le 18 août se poursuivait en une progression ininterrompue. Les troupes, en particulier celles de l'aile droite marchante, accomplirent des performances de marche que l'on n'aurait jamais tenu pour possibles en temps de paix. La journée du 19 fut marquée par des succès sur les Belges au sud d'Anvers et sur une division de cavalerie française au nord de Namur. Les préparatifs d'attaque de cette place furent commencés. Le 22, le commandement de la 5e armée annonça qu'il avait remporté une victoire au nord-est de Verdun, sur la coupure de la Chiers et de la Crusnes. Le 23, le commandement de la 4e armée rendit compte à son tour qu'il avait remporté une grande victoire au nord de la Semoy. Il ne manquait plus ce jour-là sur nos cartes de la situation ennemie que trois corps d'armée français, les 3e, 18e et 19e, dont nous ne connaissions pas l'emploi; par ailleurs nous talonnions tous les autres.

A cette date les cartes qui avaient été établies en temps de paix pour indiquer les mouvements projetés pour l'aile droite correspondaient encore jusque dans le détail avec les cartes portant les mouvements effectivement exécutés par les armées. Le 24 août, les 2e, 3e, 4e armées annoncèrent de nouveaux succès. La 1re armée fit savoir qu'elle avait les Anglais devant elle. La crainte que nous éprouvions de voir ceux-ci déboucher de la région de Lille dans le flanc droit de notre aile droite, avec l'appui de corps français, disparut de ce fait.

Une grande bataille avait donc été livrée, au cours de ces journées, sur tout le front de nos armées, d'une façon générale à la frontière franco-belge, à des intervalles de temps et d'espace plus on moins grands. Ainsi que nous l'escomptions, les Français avaient accepté le combat en vue de nous empêcher de pénétrer en France et ils avaient été battus au cours de cette grande bataille de plusieurs jours. Les nouvelles entièrement favorables qui nous arrivaient chaque jour et qui nous parvinrent encore le 25 août, jointes à la grande victoire remportée par les 6e et 7e armées en Lorraine, firent naître au G. Q. G. la croyance que la grande bataille décisive du front ouest avait été livrée à notre avantage. Sous l'impression de cette " victoire décisive ", le chef d'état-major général se décida, malgré les objections qui lui furent faites, à envoyer des forces sur le front est. Il croyait que le moment était venu, où, après avoir remporté une victoire décisive à l'Ouest, on pouvait, dans l'esprit du plan général d'opérations, envoyer dans l'Est des forces considérables pour y chercher également la décision. Six corps d'armée furent désignés dans ce but, parmi lesquels le IXe C. A. et le Corps de réserve de la Garde. Ces deux corps se trouvaient aux ailes jointives des 2e et 3e armées; ils avaient été employés à l'attaque de Namur et, au cours de l'avance ultérieure de ces armées au delà de la place, ils avaient été en quelque sorte refoulés en arrière de la première ligne de combat. Le commandement de la 2e armée, qui avait dirigé l'attaque de Namur, avait déclaré qu'ils étaient immédiatement disponibles, sans doute en partie parce qu'il était sous la pleine impression de la victoire qu'il venait de remporter. Les quatre autres corps qui devaient être envoyés dans l'Est, deux du centre et deux de l'aile gauche, n'étaient pas immédiatement disponibles; il fallait tout d'abord les retirer du front. Or il fallait cependant aider rapidement le front est. C'est pour cette raison que le XIe C. A. et le Corps de réserve de la Garde - donc deux corps appartenant précisément à l'aile droite qui devait être maintenue puissante et même être renforcée - furent envoyés les premiers dans l'Est. Si le chef d'état-major général de l'armée, en cédant des forces aussi importantes au front oriental, avait uniquement fait preuve d'une trop grande faiblesse à l'égard de la situation difficile de ce front, il aurait pu dès le 26, en raison des renseignements favorables reçus ce jour-là du front oriental et que nous avons cités précédemment, annuler la mesure prise le 25. Ce ne fut que quand on connut dans toute son ampleur la victoire de Tannenberg et après avoir examiné encore une fois tous les inconvénients résultant d'un affaiblissement du front ouest, que l'on annula l'ordre d'envoi des quatre corps tirés du centre et de l'aile gauche; l'un d'eux était déjà à Thionville, prêt à être embarqué. Le XIe C. A. et le Corps de réserve de la Garde étaient déjà en route. Le fait que ces corps durent se rendre par étapes de Namur à Aix-la-Chapelle, Malmédy et Saint-Vith pour n'être enlevés qu'en ces points, prouve des plus clairement combien la situation des voies ferrées était mauvaise à cette époque en Belgique, à l'aile droite de nos armées. C'est là un fait qu'il nous faut souligner encore une fois à cette occasion en raison de la question précédemment discutée et concernant le renforcement de l'aile droite par des forces prélevées sur 1'aile gauche.

Lorsque l'envoi du XIe C. A. et du Corps de réserve la Garde sur le front oriental fut ordonné le 25 août, le colonel-général de Moltke reprocha en quelque sorte au chef de la section des opérations qui l'y avait déterminé en son temps, d'avoir rameuté le IXe C. R. ,sur le front ouest, en lui disant : " Nous assistons maintenant à un tableau singulier : le IXe C. R. arrive sur le front ouest à l'aile droite de nos armées alors qu'au même moment le XIe C. A. et le Corps de réserve de Garde la quittent pour aller dans l'Est; c'est donc un contre-mouvement. " A cela il lui fallut répondre à nouveau que l'appel du IXe C. R. à l'Ouest avait été considéré comme justifié au moment où il avait été ordonné et que cela était encore vrai maintenant, 25 août.

Si nous sommes entrés ici dans ces détails, c'est afin d'exposer, pour autant que cela est possible, à propos de l'envoi si souvent condamné à juste titre des deux corps de l'aile droite dans l'Est, les idées du général de Moltke qui tendaient à secourir rapidement le front oriental.

Son sentiment élevé des responsabilités a dû être sérieusement éprouvé par le fait qu'après s'être décidé a envoyer des forces importantes dans l'Est à la suite de la grande victoire décisive remportée à l'Ouest, l'aide apportée au front oriental par une partie de l'armée de l'Ouest ne put se faire sentir que bien longtemps après le moment où elle aurait pu avoir lieu si le IXe C.R. avait été dirigé directement du Schleswig-Holstein vers l'Est. C'est pour cela aussi qu'au moment où le XIe C. R. était en train d'arriver en Belgique il fit mettre immédiatement en marche les deux corps de l'aile droite qui étaient disponibles et non pas ceux de l'aile gauche qui devaient être tout d'abord retirés du front. Mais le XIe C. A. et le Corps de réserve de la Garde ne sont arrivés, eux non plus, en temps voulu pour intervenir dans la bataille de Tannenberg.

Les journées suivantes nous apportèrent aussi l'annonce de nouvelles victoires. Après que la Direction suprême eut donné, les 26 et 27 août, sur la base des dernières grandes batailles décisives, de nouvelles directives pour la continuation des opérations, le commandement de la 1re armée fit savoir, le 28 août, que son armée avait battu les Anglais et qu'elle atteindrait dès ce jour-là la région située à mi-chemin entre la frontière belge et Paris.

Les armées progressant, il fut également nécessaire de pousser le G. Q. G. en avant. Le 30 août il fut transféré de Coblence à Luxembourg.

Le 30 août après-midi, on reçut des comptes rendus qui obligèrent à décaler la direction de marche des armées dans une direction sud plus marquée et même par la suite dans la direction du sud-est. Du fait de la conversion des armées autour de Metz-Thionville comme pivot, les armées s'étaient d'ailleurs déjà orientées dans cette direction au cours de leurs batailles et de la poursuite.

Durant la progression ultérieure de l'aile droite, la Direction suprême fut amenée plusieurs fois à décider si avant de surmonter les coupures difficiles du terrain, il fallait faire serrer les troupes sur leurs têtes de colonnes pour concentrer nos forces ou bien s'il fallait essayer de franchir ces coupures sur les talons de l'ennemi. Cette question fut examinée à fond dans chaque cas particulier. S'arrêter et serrer sur les têtes de colonnes, c'était s'obliger par la suite à conquérir les dites coupures par une nouvelle bataille et au prix de grosses pertes; c'était donner à l'ennemi le temps de s'asseoir, de se réorganiser, de se renforcer. Au contraire si on le serrait de près dans son repli, ces coupures étaient appelées à tomber entre nos mains presque sans combat et sans grandes pertes. La Direction suprême s'est prononcée pour la continuation ininterrompue du mouvement en avant au delà de ces coupures. Ses décisions furent aussi influencées par les comptes rendus des commandants d'armées qui dépeignaient sans cesse la retraite ennemie comme une fuite, mais qui souvent n'étaient pas absolument exacts ainsi que la suite l'a prouvé. L'opinion que les Français pouvaient se replier suivant un plan arrêté n'a été exprimée que dans des cas très isolés.

On peut dire aujourd'hui avec certitude que nous aurions eu la guerre de tranchées à la place même où nous nous serions arrêtés pour serrer la première fois. Nous n'aurions pas de ce fait conquis une grande partie des territoires du nord de la France que nous avons occupés par la suite et qui furent d'une valeur incontestable pour notre ravitaillement.

On peut s'imaginer facilement que les nouvelles alarmantes ne manquaient pas non plus à cette époque au G. Q. G.. Ostende et Anvers y jouaient le principal rôle. Tantôt c'étaient de nombreuses troupes anglaises qui avaient débarqué à Ostende et marchaient sur Anvers; tantôt c'était la garnison de cette place qui était sur le point de tenter de grandes sorties en même temps que le peuple belge se soulèverait tout entier. Il fut également question du débarquement de troupes russes à Ostende (80.000 hommes).

On disait en outre qu'on était, en train de construire autour de ce port une grande place d'armes fortifiée pour les Anglais; mais lorsque nous entrâmes dans la ville, le 15 octobre, nous n'y trouvâmes absolument rien en fait de fortifications terminées ou seulement ébauchées, pas même une tranchée. La seule chose qui y avait été laissée par les Anglais était un train rempli de chevaux abattus qu'ils n'avaient pas eu le temps de sauver en les embarquant sur leurs navires. Bien que, comme cela va sans dire, la sécurité des arrières et du flanc droit de nos armées en marche méritât une attention continue, des renseignements de ce genre et même de plus mauvais encore ne purent arrêter leur avance. Il fut naturellement beaucoup plus facile pour nos ennemis de répandre des fausses nouvelles au G. Q. G. de Luxembourg que cela ne leur avait été possible au G. Q. G. de Coblence.

Si nos adversaires continuaient encore à se replier sans arrêt devant notre aile droite, les Français, eux, tentaient toujours de nouvelles attaques dans la région de Verdun contre le front de notre 5e armée, point le plus sensible de notre dispositif. C'est ainsi que le 31 août ils prirent à nouveau l'offensive contre nos 5e, 4e et 3e armées, alors que cette dernière avait déjà commencé à franchir l'Aisne avec succès, le 30 août. Le 1er septembre, le G. Q. G. apprit que ces trois armées avaient remporté une victoire commune. On constata au cours de ces combats combien il avait été avantageux de ne pas avoir expédié dans l'Est les autres corps qui étaient désignés pour y être transportés.

Au début de septembre on reçut des renseignements signalant un trafic ferroviaire important en direction de Paris et paraissant être des transports de troupes. Il fallut donc envisager qu'une partie des corps ennemis, jusqu'alors opposés à nos 6e et 7e armées étaient peut-être en cours de transport vers l'aile gauche française. Une attaque ennemie débouchant de Paris pouvait être dirigée contre l'aile et le flanc droits de nos armées au cours de leur progression ultérieure. Or nous n'avions plus de réserves immédiatement disponibles derrière cette aile. Devant cette situation, de nouvelles directives furent rédigées pour les armées, le 4 septembre. En vertu de ces directives, l'aile droite ne devait plus continuer à poursuivre l'ennemi en direction du sud-est avec toutes ses forces. Les 1re et 2e armées devaient rester devant Paris pour assurer la couverture contre des attaques éventuelles débouchant de cette place. La 3e armée devait s'arrêter sur la Seine à Troyes et plus à l'est; les 4e, 5e, 6e et 7e armées devaient continuer à essayer de saisir encore l'ennemi.

Ainsi que cela a été déjà dit précédemment, il fut prescrit aux 6e et 7e armées de retirer de leur front le commandement de la 7e armée, la 7e D. C., le XVe C. A. et un corps de la 6e armée pour être envoyés à l'aile droite de notre dispositif. Ces unités, formant une nouvelle 7e armée, devaient être transportées tout d'abord en Belgique, puis être employées à l'aile droite. Cet ordre fut envoyé aux armées le 5 septembre. Ainsi qu'on le constata par la suite il ne fut pas complètement exécuté par notre 1re armée sans doute parce qu'elle fut entraînée par son désir de pousser de l'avant.

Les liaisons avec l'aile droite étant devenues de plus en plus difficiles au fur et à mesure qu'elle s'éloignait, on avait songé à plusieurs reprises à transférer le G. Q. G. derrière cette aile. Mais par suite de maintes difficultés techniques qui ne doivent pas être sous-estimées, telles que les modifications qu'il aurait fallu apporter au réseau téléphonique, par suite aussi d'une certaine lourdeur du G. Q. G., ce déplacement n'avait pas été encore réalisé.

 

IV - LA BATAILLE DE LA MARNE

 

Le 6 septembre, les Français et les Anglais déclenchèrent des attaques sur tout le front. La bataille de la Marne commençait.

Dès le 6 septembre au soir la Direction suprême fut instruite des intentions de l'ennemi par un ordre du général Joffre trouvé sur un prisonnier : " Il faut chasser les Allemands du territoire français. " Ni la journée du 6, ni la journée du 7 n'apportèrent de décision : toutes les attaques ennemies furent repoussées. Le 8 septembre, une conférence eut lieu avec le commandant de la 6e armée en vue de prélever sur les 6e et 7e armées de nouvelles forces pour l'aile droite.

Le 8 septembre, la situation devint critique à la 2e armée. Le colonel-général de Moltke envoya un officier supérieur de son état-major auprès des commandements d'armée d'aile droite avec mission de s'orienter sur la situation de ces armées, et dans le cas où des mouvements de repli auraient déjà été ordonnés par les commandements d'armée, d'agir en sorte que la cohésion des armées entre elles fût rétablie, la 1re armée devant alors se porter en direction de Soissons. Cet envoi fut précédé d'une discussion détaillée de la situation, au cours de laquelle il fut souligné qu'il s'agissait de tenir et d'empêcher tout mouvement de repli. L'officier qui fut envoyé en mission n'a donc reçu de ce fait aucune sorte de pleins pouvoirs l'autorisant aux armées à ordonner on à approuver, au nom de la Direction suprême, des mouvements de repli et il ne pouvait pas non plus recevoir de pleins pouvoirs semblables. La Direction suprême n'a pas ordonné de mouvement de retraite, il convient de le souligner encore formellement. L'officier envoyé en mission a contesté, lui aussi, par la suite qu'il avait donné. à un commandement d'armée quelconque un ordre de ce genre émanant de la Direction suprême. Il a déclaré que, quand il est arrivé au Q. G. de la 1re armée, les ordres de retraite avaient déjà été envoyés par le commandant de cette armée. Celui-ci a présenté l'affaire sous un autre jour. Les événements qui se sont passés au Q. G. de la 1re armée n'ont jamais été éclaircis à l'époque et ils ne le seront sans doute jamais, l'officier intéressé étant mort. Le commandant en chef de la 2e armée n'a jamais contesté qu'en raison de la situation tactique il avait donné de lui-même l'ordre prescrivant à l'aile droite de son armée de se reporter en arrière. A cette époque la Direction suprême n'était pas encore en situation d'intervenir de quelque façon que ce fût d'une manière décisive. La grande bataille était encore en plein développement; les réserves de la Direction suprême étaient bien en cours de transport, mais elles n'étaient pas à pied d'œuvre : une intervention dans le cours même des actions engagées eût été nettement prématurée. Celle-ci ne pouvait avoir lieu que quand on serait parvenu à embrasser clairement l'ensemble de la situation.

A la 1re armée les deux corps de gauche, IIIe et IXe C. A., avaient été rameutés à l'aile droite de cette armée en défilant derrière tout son front pour exécuter par le nord une offensive enveloppante contre les forces qui avaient débouché de Paris, mesure qui était certainement appelée à être décisive si en cette occurrence le front et l'aile gauche de l'armée restaient encore assez forts pour repousser les attaques ennemies. Mais ce ne fut pas le cas. Les Anglais pénétrèrent dans la brèche de 15 kilomètres environ qui s'était ouverte entre les 1re et 2e armées par suite du retrait des IIIe et IXe C. A., si bien que la 2e armée vit son aile droite débordée et fut obligée de ce fait de la replier. Il est difficile de dire après coup s'il aurait été encore possible de fermer cette brèche en étendant le front des unités déjà bien faibles en elles-mêmes. On pourrait l'admettre en se basant sur les enseignements ultérieurs de la guerre de tranchée, mais ces enseignements n'étaient pas encore connus à cette époque.

La nouvelle que l'aile droite de la 2e armée avait été repliée et qu'elle était pressée par l'ennemi arriva au G. Q. G. le 9 septembre à midi. La situation n'était pas encore entièrement claire cependant. A toute éventualité on jeta néanmoins des ordres sur le papier en vue d'un repli éventuel des armées d'aile droite afin d'avoir ces ordres sous la main et de ne pas perdre de temps au cas où leur envoi se révélerait nécessaire. Mais il ne le devint pas. En effet, le 9 septembre au soir, on estima à la Direction suprême, en se basant sur les comptes rendus reçus jusqu'à ce moment-là, qu'il n'y avait pas encore lieu d'envisager un repli général en vue d'obtenir des conditions défensives plus favorables sur une position située plus en arrière mais qu'au contraire, les 4e et 5e armées et, si possible aussi la 3e, devaient prendre l'offensive. On était d'avis qu'en cette situation extrêmement tendue, la victoire échouerait à celui qui tiendrait le plus longtemps.

Lorsque, le 10 septembre à midi, l'officier qui avait été envoyé en mission auprès des commandements d'armées fut de retour au G. Q. G., la Direction suprême se trouva placée devant la nécessité de prendre de nouvelles décisions du fait que la retraite des 1re et 2e armées était un fait accompli. L'officier avait fait en gros le compte rendu suivant : " La 2e armée doit être repliée derrière la Vesle, la 1re armée à sa droite, la 3e à sa gauche; les 4e et 5e peuvent d'une façon générale rester où elles se trouvent. Toute la retraite a pour cause le fait que la 1re armée a laissé s'ouvrir une brèche entre elle et la 2e armée en rappelant son IXe C. A. Autrement les Français étaient considérés comme complètement battus. " Avant de donner des ordres décisifs sur la base de ce rapport, le chef d'état-major général voulut se rendre compte personnellement de la situation d'une façon détaillée auprès des commandements d'armées. Le 11 septembre au matin, il partit en automobile pour les Q. G. d'armées avec le chef de la section des opérations. A l'état-major de la 5e armée, à Varennes, le moral était excellent du fait que pendant la nuit du 10 au 11 on s'était emparé d'une position fortifiée au sud-ouest de Verdun. Pendant le trajet pour se rendre au Q. G. de la 3e armée, à Suippes, en passant par Clermont et Sainte-Menehould, le colonel-général de Moltke rencontra de nombreux convois de blessés légers qui avaient reçu l'ordre d'aller à pied et causa amicalement avec eux. Au Q. G. de la 3e armée, le commandant en chef et l'officier du bureau des opérations étaient malades; on apprit qu'une division de réserve avait essuyé, la veille au soir, un échec décisif. On recueillit l'impression que la 3e armée n'était plus guère en état de tenir seule, avec ses forces affaiblies, le front de 40 kilomètres environ qui était envisagé pour elle. Au Q. G. de la 4e armée, à Courtisols (est de Châlons-sur-Marne), on retrouva un moral d'une confiance entière; le commandement de l'armée se déclara prêt à prendre à son compte une partie du front de la 3e armée. Pendant la discussion on remit au colonel-général de Moltke un radio de la 2e armée que l'on avait capté et qui disait " qu'une percée ennemie semblait imminente sur le front de la 3e armée. "

Il n'était pas douteux, d'après l'impression qu'on avait eue, que cette dernière ne devait pas être exposée dans sa situation actuelle à une nouvelle attaque sérieuse et cela notamment parce que, d'après la carte de situation qui avait été présentée au chef d'état-major général au Q. G. de la 3e armée, il existait déjà dans son front une large brèche qui avait été provoquée par la conversion à droite et à gauche d'une partie de ses éléments cherchant à exécuter des attaques enveloppantes pour soutenir les armées voisines. Si les Français perçaient le front de la 3e armée, la 4e armée et surtout l'aile droite de la 5e étaient appelées à être refoulées en terrain très difficile contre la place de Verdun et partant à être exposées à un anéantissement. C'eût été perdre toute la guerre, car la situation des 1re et 2e armées serait devenue, elle aussi, complètement intenable. L'intervention de la Direction suprême devint dès lors indispensable pour assurer à nouveau des conditions de combat favorables à l'ensemble du gros de nos forces - armées 1 à 5 -, égaliser la répartition des moyens à l'intérieur du front, rééquiper celui-ci d'une façon uniforme, ce qui n'avait pas eu lieu depuis les combats engagés le 6 septembre, empêcher enfin que le succès général ne fût compromis par des échecs de quelques fractions. Compte tenu également de la situation des 1re et 2e armées, il fallut donc, bien qu'à regret, prendre la décision de replier les 3e, 4e, et 5e armées sur une position unique où la liaison pourrait aussi être maintenue d'une façon sûre avec la 2e armée. Les ordres nécessaires furent rédigés à Suippes, au Q. G. de la 3e armée, où le chef d'état-major général s'était rendu une seconde fois. La nécessité des mesures prises fut entièrement confirmée par la discussion qui eut lieu à Reims, au Q. G. de la 2e armée, où le colonel-général de Moltke se rendit ensuite.

Au cours de la nuit le général de Moltke rentra au G. Q. G. à Luxembourg : il était gravement malade. Sa santé, déjà fortement ébranlée, n'avait pu résister aux épreuves morales et physiques de cette journée.

Le 12 septembre, un officier supérieur d'état-major de la Direction suprême fut envoyé aux Q. G. des 4e et 5e armées pour arrêter dans le détail, avec les commandements de ces armées, le tracé définitif de leur nouvelle position défensive, qui naturellement n'avait été indiqué que d'une façon générale dans les directives du 11 septembre, ainsi que les points de soudure entre les armées, afin que des conditions favorables fussent ainsi réalisées à tout point de vue pour la défensive.

La journée du 13 septembre apporta à nouveau à la Direction suprême des nouvelles très inquiétantes de la 2e armée où nos adversaires poursuivaient leurs attaques et continuaient leurs efforts pour prendre en flanc son aile droite. Il en résulta une situation difficile qui demandait à être réglée le plus tôt possible et définitivement. La meilleure façon d'y parvenir était de prendre nous-mêmes l'offensive. Le chef de la section des opérations, à qui les renseignements étaient remis, demanda en conséquence au quartier-maître général, que l'on devait considérer comme le suppléant du chef d'état-major général malade, de vouloir bien se rendre avec lui en automobile aux Q. G. des 5e, 4e et 3e armées, afin de récupérer un corps sur chacune de ces armées dont la situation s'était consolidée depuis qu'elles s'étaient repliées sur leur ligne de défense plus courte. Les trois corps en question devaient être engagés dans la brèche entre les 1re et 2e armées et provoquer un renversement de situation à notre avantage en prenant l'offensive. Le 13 septembre au soir, les ordres nécessaires furent donnés verbalement aux commandements des 5e, 4e et 3e armées, donc beaucoup plus rapidement et plus sûrement qu'on n'aurait pu le faire au moyen du téléphone et des autres procédés de transmission qui fonctionnaient encore fort défectueusement à ce moment-là. Un corps d'armée fut récupéré avec plus ou moins de difficultés sur chacune des trois armées et mis aussitôt en marche sur la 2e armée; ce déplacement de troupes, immédiatement en arrière du front, était certes délicat, mais cependant parfaitement exécutable. Au Q. G. de la 2e armée, à Witry-les-Reims, où le quartier-maître général et le chef de la section des opérations se rendirent ensuite, les mesures prises furent accueillies avec la plus grande confiance. Le 14 septembre dans la matinée, les deux officiers attendirent à la 2e armée de nouveaux renseignements sur la situation et purent voir, du fort de Fresnes, une attaque française, partie de Reims, s'effondrer sous le feu de notre artillerie.

Vers midi, de nouvelles attaques françaises n'ayant pas lieu, ils continuèrent sur Vauxaillon (nord de Soissons) où se trouvait le Q. G. de la 1re armée. Au cours de leurs conversations avec les commandements des 2e et 1re armées, ils acquirent la conviction que les intentions de la Direction suprême - attaquer avec trois corps dans la brèche entre les 1re et 2e armées - étaient parfaitement comprises.

Le 14 septembre, à une heure tardive de la soirée, ils reprirent le chemin du G. Q. G. à Luxembourg où ils arrivèrent le 15 au matin. Entre temps le quartier-maître général avait été nommé au commandement du XIVe C. R. et le général von Falkenhayn avait pris la direction des affaires relevant du chef d'état-major général de l'armée de campagne à la place du colonel-général de Moltke malade.

Le 16 septembre, la situation s'éclaircit complètement. Le gros de la crise fut surmonté grâce à l'engagement des XIIe et XVIIIe C. A., prélevés sur les 3 e et 4e armées, grâce aussi à l'intervention des éléments de tête du XVe C. A. et du VIIe C. R. de la nouvelle 7 e armée. La brèche entre les 1re et 2e armées fut fermée. Dans le flanc droit de notre front aucun autre ennemi que de la cavalerie n'était plus signalé depuis que le IXe C. R. était également arrivé à notre aile ouest et y avait pris aussitôt l'offensive. Le 17 septembre, le renseignement disant qu'il n'y avait pas de forces ennemies importantes dans notre flanc fut confirmé.

En ce qui concerne le corps d'armée qui avait été retiré du front de la 5e armée le 13 au soir et qui avait été mis en marche sur la 2e armée, son mouvement avait été arrêté le 14 par suite du changement de chef d'état-major général, alors que le quartier-maître général et le chef de la section des opérations étaient encore absents du G. Q. G. Aujourd'hui encore on ne peut s'empêcher d'avoir la conviction que si ce corps d'armée avait été engagé, lui aussi, offensivement à l'aile droite de la 2e armée, de concert avec les XIIe et XVIIIe C. A. et en liaison avec l'intervention désormais acquise du XVe C. A., du VIIe C. R. et du IXe C. R., il en serait résulté un renversement complet. La situation des Anglais et des Français était en effet, elle aussi, extrêmement tendue; eux aussi étaient à bout de forces ainsi que leur faible attaque de Reims du 14 septembre l'avait d'ailleurs déjà suffisamment prouvé.

La bataille de la Marne était terminée. Nous n'avons jamais eu sur le moment l'impression que nous avions subi une grave défaite et nous n'avions pas non plus de raisons de le croire. Les Français n'avaient pas atteint, en effet, le but qu'ils s'étaient proposé en engageant la bataille, " nous chasser de leur sol ". Ce ne sont que les allégations répétées de la presse française qui ont fait des succès franco-anglais de la bataille de Marne une grande victoire des armes françaises.

 

V - BREVES CONSIDÉRATIONS

 

Qu'il soit permis ici d'ajouter quelques brèves considérations sur les conséquences de la bataille de Marne.

Si pendant cette bataille nous n'avons pas conservé les positions que nous avions atteintes le 6 septembre il faut en chercher avant tout la cause dans le fait qu'il nous a manqué un à deux corps d'armée. Aurait-il été possible de conserver ces positions en restant purement et simplement sur la défensive si les IIIe et IXe C. A. n'avaient pas été rappelés à l'aile droite de la 1re armée ?

C' est là une question à laquelle il est naturellement difficile de répondre après coup, mais à laquelle on est obligé de répondre affirmativement si l'on tient compte des enseignements ultérieurs de la guerre de tranchées. On doit reconnaître cependant, abstraction faite de ce point, que la Direction suprême aurait dû avoir à sa disposition une réserve d'au moins un à deux corps d'armée pour parer sur certains points du front aux à coups qui devaient fatalement survenir au cours d'une lutte de plusieurs jours comme celle de la Marne, même après les grandes victoires que l'on avait remportées. Mais les troupes disponibles avaient dû être employées devant les places d'Anvers et de Maubeuge; le IXe C. R. et les forces retirées du front des 6e et 7e armées n'étaient pas encore arrivées; la brigade de tête du XVe C. A. avait même été retardée d'un jour par la surprise de Louvain. Ce furent le XIe C. A. et le Corps réserve de la Garde, cédés le 25 août au front orienta1, qui firent défaut à la Direction suprême. Or il a été démontré d'une façon détaillée que la cession de ces deux corps a eu lieu par suite d'une appréciation exacte et trop optimiste de la situation sur le théâtre d'opérations occidental. Il faut par contre souligner encore une fois ici que lors de la présentation du dernier projet de budget de l'armée on a refusé la création d'un nouveau corps d'armée que le chef d'état-major général de l'armée estimait nécessaire d'après le rapport des forces en présence. Ce corps d'armée nous a souvent manqué et pas seulement pendant la bataille de la Marne.

On a soulevé d'autre part la question suivante : si la bataille de la Marne s'était terminée sans le moindre résultat positif pour les Français et les Anglais, est-ce qu'un pareil dénouement aurait en une influence décisive sur les événements militaires ultérieurs et aurait pu éventuellement amener la fin de la guerre ? On ne peut répondre que négativement à cette question. En admettant même que nous soyons parvenus à repousser l'attaque franco-anglaise sur nos positions du 6 septembre, nous aurions été difficilement en situation, après une bataille décisive de plusieurs jours, de reprendre immédiatement l'offensive en grand. Nos effectifs étaient trop affaiblis, particulièrement en officiers. Quant à dire que nos adversaires auraient conclu la paix s'ils nous avaient ainsi amenés à nous arrêter sur la Marne. C'est une chose difficile à admettre étant donnés l'opiniâtreté des Anglais et leur but de guerre bien connu. Même en cas d'échec complet des attaques ennemies pendant 1a bataille de la Marne, on en serait arrivé à la guerre de tranchées avec toutes ses horreurs et toutes ses misères, L'aurions-nous faite alors dans des conditions plus favorables que celles où nous nous sommes trouvés plus tard dans la réalité, c 'est très douteux. Notre front aurait été très étendu, même si nous nous étions appuyés à la mer en un point situé plus au sud que celui que nous avons atteint par la suite, sur l'une des grandes coupures du terrain, la Somme par exemple. Nous aurions eu en effet à assurer la protection d'une longue bande de côtes. La guerre en soi aurait continué.

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